Baubüro in situ chez Transa: une esthétique de l’inachevé
Pionnier du réemploi, baubüro in situ était présent au forum Bâtir et Planifier 2022. La transformation des bureaux de Transa est un exemple de projet qui livre des réponses à des questions de coûts, d’émissions de CO2 et d’approvisionnement des matériaux… mais aussi d’esthétique. Sommes-nous prêt·es à travailler dans les paysages du réemploi ?
La lampe est miraculeuse: c’est un losange en plastique blanc derrière lequel on devine deux ampoules montées dos à dos avec un anneau en tôle perforée. On connaît cette lampe pour l’avoir déjà vue ailleurs, solidement fixée au mur, dans des écoles et des bâtiments publics fonctionnels des années 1980. Quatre décennies plus tard, la lampe a doublé de volume et oscille librement au plafond du nouvel espace de bureaux de l’entreprise d’équipement outdoor Transa.
À l’origine, avant d’être ces objets soigneusement conçus, ces lampes assuraient l’éclairage des toilettes de l’immeuble de bureaux de la Josefstrasse, dans le Kreis 5 de Zurich, dans lequel s’est installée Transa. Leur mobilité, obtenue grâce à la suspension libre à des câbles textiles, est éloquente: elle trouve un parallèle dans la pensée en mouvement qui caractérise toute la transformation de l’intérieur des bureaux.
On a déjà presque tout dit sur l’aménagement du siège de Transa par baubüro in situ. La revalorisation ou l’upcycling (d’un éclairage fonctionnel de sanitaires à une lampe design ornant le couloir principal d’un siège d’entreprise); la réinterprétation (d’un objet fixé au mur à une suspension oscillant librement) ; l’utilisation parcimonieuse de nouveaux matériaux; la force d’évocation d’un objet qui a une histoire, même si elle est très quotidienne. «Collecter, accumuler, interpréter, créer», c’est ainsi que Pascal Angehrn, responsable du réaménagement des bureaux de Transa au sein du baubüro in situ avec Benjamin Poignon et Achille Pidoux, décrit le processus.
À l’origine, l’étage accueillait des bureaux et des salles de formation très classiques au-dessus d’un bâtiment commercial banal datant des années 1960. Il s’agissait d’en faire les bureaux d’une entreprise non conventionnelle : Transa a vu le jour dans les années 1970 sous la forme d’une association proposant des voyages dans le désert et l’équipement correspondant. Pour baubüro in situ, construire du neuf signifie toujours transformer, et la réutilisation des matériaux est une priorité absolue. L’innovation ne réside donc pas dans le plan ni dans une vision figée du projet à terme, mais dans la méthode et le concept. Dans les bureaux de Transa, baubüro in situ a manipulé une partie de ce qui était déjà là; seul le strict nécessaire a été ajouté. Quelques éléments a priori peu attractifs ont pu être réutilisés, comme les panneaux d’aggloméré des anciennes armoires encastrées, les plaques de plâtre de l’ancien plafond acoustique ou encore les câbles électriques. La trame métallique du plafond suspendu d’origine est encore reconnaissable, car elle se prêtait à la suspension de nouveaux éléments. «Cette transformation n’a même pas rempli une demi-douzaine de bennes à déchets», déclare Angehrn non sans fierté.
Immunisé contre les problèmes d’approvisionnement
Un tel processus exige de tous les participants une grande confiance. Le client a parfois douté de la compétence des architectes, se souvient Angehrn. Car on ne peut pas présager du résultat si l’on doit se contenter de ce que l’on a. Les éléments ajoutés devaient également être de seconde main. Ainsi, une grande fenêtre intérieure, qui devait à l’origine être ronde, est devenue rectangulaire. Les cloisons en bois qui séparent les bureaux du couloir central sont remplies de panneaux d’aggloméré sciés et empilés – les morceaux de bois collés, auparavant cachés, apparaissent dès lors au grand jour. Les façades des armoires de bureau sont constituées de panneaux en matériau d’emballage recyclé et ont été livrées beaucoup plus foncées que l’échantillon sur la base duquel elles avaient été commandées – car le fabricant a dû travailler de son côté avec les matières premières recyclées qu’il a reçues. À l’inverse, cette approche est immunisée contre les problèmes de chaîne d’approvisionnement auxquels les projets de construction conventionnels sont actuellement confrontés.
Le maître d’ouvrage est enthousiaste. «C’est exactement comme cela que nous pilotons un projet, explique Daniel Humbel, CEO de Transa. Chez nous aussi, les processus sont constamment dynamiques.» Il est convaincu que l’esthétique de l’inachevé inspire également les processus de travail qui se déroulent ici: «Un bâtiment high-tech parfait couperait l’herbe sous le pied de tout le monde. Mais ainsi, beaucoup de choses restent ouvertes et en mouvement.» À vrai dire, les collaborateur·ices ont déjà pris goût à la beauté du second hand. Pour une entreprise de ce type, un mur d’escalade réemployé fait parfaitement office de paroi pour les banquettes d’une petite salle de réunion. De même, des panneaux publicitaires découpés à la scie séparent les cases postales; le courrier côtoie ainsi des découpes de ciel bleu, de montagnes et de visages souriants.
Vers une esthétique de l’usagé
Les bureaux de Transa montrent les traces du travail. Des murs faits de panneaux de bois sciés, les stries d’une découpe nette dans le béton, des joints mastiqués dans les plafonds et les murs – tout cela reflète un travail artisanal. Angehrn s’enthousiasme pour ce processus de transformation, qu’il place du côté de l’artisanat, plus que de la conception architecturale.
Les bureaux de Transa s’inscrivent dans un engouement général pour l’esthétique de l’usagé. Les anciennes fenêtres en bois d’un immeuble coopératif d’Altstetten, aujourd’hui démoli, qui constituent la moitié supérieure de nombreux murs intérieurs, sont soigneusement encadrées par de nouvelles surfaces en bois clair. Ce n’est pas seulement une concession; c’est un choix esthétique, un contraste habile entre le neuf et l’usagé.
Cette tendance à célébrer l’usagé a été remise à la mode dans les années 1980 et n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis. Ce n’est pas un hasard, à une époque où l’histoire a fait son retour dans l’architecture avec le postmodernisme et où les sociétés occidentales ont en même temps dit adieu au travail industriel et à l’usine. Les créations de baubüro in situ portent en elles l’aura du travail manuel et le récit de nombreuses histoires, ce qui les rend fascinantes. Le fait que la transformation de la Josefstrasse ait permis d’économiser l’équivalent en CO2 de 50 vols transatlantiques, comme l’a calculé le planificateur spécialisé de Zirkular, n’est pas non plus à négliger. Cela prouve qu’un tel projet n’a pas seulement un passé, mais surtout un avenir.
Ce contenu vous est présenté dans le cadre de l’édition 2022 du forum Bâtir et Planifier qui avait pour thème «La ville circulaire». L’événement était organisé par la section Vaud de la SIA, la FSU romande et la FSAP et soutenu par la fondation CUB.