My­cé­lium: cham­pi(gn)on de l’éco­no­mie cir­cu­lai­re

Le mycélium se cultive localement et se renouvelle rapidement. De plus, il possède des propriétés intéressantes pour le secteur de la construction: son pouvoir isolant et son bon comportement au feu pourraient remplacer, semble-t-il, la mousse de polystyrène expansé. L’intégration du vivant révolutionnera-t-elle la conception du bâti?

Data di pubblicazione
17-10-2023

Cet été au far° festival et fabrique des arts vivants à Nyon (VD), une artiste, un architecte et une chercheuse unissaient leurs talents pour élaborer une œuvre transdisciplinaire à base de mycélium. Le projet intitulé Ruined témoignait d’une recherche autour de la fertilité de la ruine, questionnant l’acte de construire et l’art d’habiter. L’œuvre parlait de notre rapport au temps et à la matière, interrogeant notre perception de la finitude au sein d’un environnement bâti. Qu’est-ce que la vie du mycélium, une matière évolutive, passant de solidification à fructification, aboutissant à la décomposition? En août, les visiteurs de l’exposition ont pu découvrir un fragment de colonne rappelant la fondation romaine de la ville. Appuyés sur un socle, les fûts cannelés, composés d’un substrat (¾ de paille et ¼ de sciure) encollé par le mycélium, révélait les gestes et les étapes de leur élaboration. Au sommet, des pleurotes, Pleurotus pulmonarius, s’étaient invitées à la fête, s’épanouissant le temps de l’exposition.

Mais la réussite ne tenait pas uniquement au résultat présenté et l’élaboration de l’œuvre se voulait également didactique. Elle a été confiée à une vingtaine d’étudiants de l’EPFL qui ont moulé les colonnes, inoculé les substrats et les ont incubés. L’expérience leur a permis d’améliorer leurs connaissances autour du mycélium, une matière qui fascine les milieux académiques depuis maintenant une vingtaine d’années: mycologues, ingénieurs en sciences des matériaux ou en mécanique consacrent beaucoup d’efforts à l’évaluation et à l’amélioration des myco-matériaux.

Mais de quoi parle-t-on exactement? «Invisible lorsqu’il étend ses filaments dans le sol ou sous les feuilles mortes, le mycélium peut être comparé à un arbre souterrain dont les fruits seuls sont visibles, sous la forme de champignons pointant leurs chapeaux à la surface du sol»1. Il est composé d’hyphes, autrement dit de minuscules filaments qui s’étendent et se lient solidairement les uns aux autres. Ceux-ci forment un réseau dense et enchevêtré recouvrant parfois plusieurs mètres carrés. La partie végétative du champignon sert à explorer un milieu, à échanger avec celui-ci, à se nourrir, à croître et à se défendre.

Matériau miracle?

Plusieurs voies sont explorées afin d’offrir une alternative écologique au plastique qui contamine le globe et ses océans. Par rapport aux matières issus de l’industrie pétrochimique, le mycélium a une très faible empreinte carbone, il ne présente aucune toxicité, il résiste aux flammes et est entièrement biodégradable. Il est cultivé sur toute sorte de déchets organiques contenant de la cellulose: sciure ou copeaux de bois, paille, chanvre, coton tissé, épis de maïs, poudre de noix de coco, marc de café, bagasse, etc. Quelle que soit la recette de base, ce matériau compact, léger, ultra-résistant à la chaleur, sert d’engrais naturel en fin de cycle de vie, ou mieux, réintègre un nouveau cycle de culture. Dès 2007, une frénésie s’empare des chercheurs pour trouver les procédés menant à une multitude d’applications, avec de potentiels gros marchés à la clé. Les designers imaginent des abat-jour et des chaises en mycélium. La société Evocative Design, implantée aux états-Unis, commercialise une alternative biodégradable aux emballages en polystyrène et séduit des entreprises telles que Dell ou Ikea. Par ailleurs, les milieux de la mode s’intéressent à une matière évoquant le cuir, en réalité un mycélium digérant entièrement son substrat. Magical Mushroom Company en Angleterre, Mycotech Lab en Indonésie, Mogu en Italie, Grown.bio aux Pays-Bas ou encore Fumo Panels en Pologne, sont autant de nouvelles sociétés qui se développent dans un secteur en forte compétition.

Expérimentations à grande échelle

Parmi les nombreux pavillons expérimentaux qui jalonnent la recherche portant sur les propriétés mécaniques des matériaux bio-composites à base de mycélium, citons une structure de 12 mètres installée provisoirement dans la cour du MOMA à New York en 2014. Le projet éphémère Hy-fi comprenait un squelette habillé de 10 000 briques (43 × 17 × 10 cm) entièrement biodégradables. En 2017, Mycotree, installé à la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Séoul, était développé conjointement par l’Institut de technologie de Karlsruhe et le Block Research Group de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Combinant des éléments en mycélium et des attaches en bambou, l’équilibre statique de cet arbre était fourni par la géométrie, chaque élément travaillant uniquement en compression. La solution démontrait brillamment qu’il était possible de recourir en toute sécurité à des matériaux organiques cultivés présentant de faibles capacités portantes. Et, enfin, le petit dernier, révélé en juillet 2023 et dénommé Bioknit, était conçu par des architectes de la Newcastle University associés à des scientifiques de la Northumbria University. Renonçant au moule en plastique, l’équipe a choisi d’employer un textile associant lin et laine comme matrice. Une pâte de mycélium nommée Mycocrete, à base de poudre et de fibres de papier, a été injectée par pistolet à l’intérieur d’un textile tricoté. La croissance du mycélium a rigidifié le cadre tout en lui donnant une capacité en flexion mesurée à 90,1 Mpa. D’autre part, le matériau, dont la densité moyenne était de 306 kg/m3, présentait une résistance en compression de 12,3 Mpa2. Par ailleurs, la forme organique offrait des qualités tactiles accueillantes, ouvrant la voie à une manière d’habiter radicalement différente.

Un matériau fabriqué en culture

Même si certains font simplement pousser du mycélium chez eux (low-tech lab fournit un mode d’emploi et critical concrete démontre un coût ultra-compétitif), une croissance dans un espace contrôlé, en laboratoire, reste le meilleur gage de réussite. En effet, la fabrication de matériaux à base de mycélium nécessite une température ambiante d’environ 25 °C, une humidité relative de plus de 95 %, ainsi qu’un environnement sombre et stérile. Le processus se résume en deux phases: inoculation et incubation. L’espèce de champignon sélectionnée, par exemple pour sa vitesse de développement, est combinée à un certain type de substrat. Ils forment un matériau bio-composite dont les propriétés dépendent étroitement de leur interaction. Souvent en quelques jours, parfois en quelques mois, le mycélium déploie ses hyphes autour du substrat préalablement pasteurisé, cela afin d’éviter la prolifération de moisissures ou de bactéries. Il adopte la forme que lui donne un moule en plastique, le manque d’oxygène étant un facteur limitant l’épaisseur. Une fois sorti du moule, le nouveau matériau est encore pressé à chaud (ou à froid) afin d’augmenter ses propriétés mécaniques. Puis, il est volontairement déshydraté: en industrie, il est chauffé dans un four, afin de freiner drastiquement sa croissance et éviter la prolifération de champignons à sa surface.

Une construction plus verte

Les matériaux de construction traditionnels proviennent de ressources limitées, importées bien souvent de loin, induisant d’importantes nuisances liées à leur extraction, mais aussi à leur élimination. Par ailleurs, l’étalement urbain n’étant plus de mise, la densification des villes pourrait accélérer les cycles de démolition - reconstruction, engendrant des pyramides de matériaux inertes. Force est déjà de constater que la durée de vie des bâtiments est raccourcie. Dans ce contexte, les matériaux à base de mycélium, qui limitent la quantité de déchets, favorisent le passage à une économie circulaire. Ainsi, des panneaux thermiques et des solutions acoustiques à base de mycélium sont déjà proposés. Dernière en date, l’entreprise belge PermaFungi, qui récoltait du marc de café pour sa culture de champignons, étend son champ de compétences à la production de myco-matériaux. S’il est difficile de connaître la composition exacte des produits mis sur le marché, il semble cependant que le mycélium qui reste sensible à l’humidité, se détériore trop vite lorsqu’il n’est pas stabilisé chimiquement. Réintégrer des matériaux organiques dans des environnements bâtis artificiels mènerait-elle un jour à l’acceptation de l’impermanence? Le chemin est encore long.

Notes

 

1 G. Redeuihl et al., Larousse des champignons: 400 espèces de France et d’Europe, Larousse, 2015

 

2 Fouchard Romain, «De futures constructions en pâte de mycélium», Techniques de l’ingénieur, techniques-ingenieur.fr

RUINED, installation à EEEEH! La Grenette, Nyon (VD)

 

Commanditaire
far° festival et fabrique des arts vivants, Nyon

 

Partenaires
CDH-Culture/EPFL, Pro Helvetia – Fondation Suisse pour la culture, BUDA Kunstcentrum, Kaaitheater, Vlaamse Overheid, Fondation Erna et Curt Burgauer

 

Conception et réalisation
Sara Manente (Bruxelles), Deborah Robbiano (Bruxelles), Sébastien Tripod (Lausanne)

 

Producteur de champignons et de substrats
Floyd Fungi, Pompaples

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