Me­su­re prio­ri­tai­re de Viè­ge: une ap­pro­che gra­duel­le du ri­sque

De par son activité industrielle, la région de Viège, dans le Haut-Valais, possède un important potentiel de dégâts liés aux inondations. La crue du Rhône d’octobre 2000 a montré les limites de la deuxième correction, notamment au niveau du risque de débordement et d’érosion 
des digues. L’année 2022 verra l’achèvement des travaux sur ce premier tronçon du projet R3 qui permet de se familiariser avec le visage de ce Rhône 3.0.

Data di pubblicazione
30-08-2019

La ville de Viège, qui compte environ 8000 habitants, se situe immédiatement à l’amont de la confluence du Rhône et de son principal affluent, la Vispa, qu’alimentent les glaciers des vallées de Zermatt et Saas-Fee. Les débits maximaux annuels de ces deux cours d’eau sont respectivement de l’ordre de 200m3/s et 100m3/s. Mais, lors d’une crue centennale (soit une probabilité d’un pour cent par année), les débits théoriques s’élèveraient à 575m3/s et 500m3/s. Si une telle crue devait affecter simultanément les deux bassins versants, le débit du Rhône se verrait ainsi multiplié par deux et Viège serait confrontée à un double risque de débordement. Or l’espace contenu entre la rive gauche du Rhône et la rive droite de la Vispa accueille un important site industriel : en termes de risques liés aux crues, la ville et ses activités peuvent subir des dégâts potentiels de l’ordre de trois milliards de francs.

Une catastrophe évitée de justesse

Lors de la crue de l’an 2000, dont le débit mesuré (560m3/s) était de l’ordre d’une crue centennale, la situation s’est révélée très critique dans la région de Viège: plusieurs centaines d’hectares ont été inondés et l’eau a percolé au travers des digues, sans toutefois provoquer leur rupture. Suite à cet événement, l’État du Valais a décidé d’appliquer des mesures prioritaires de sécurisation dans le secteur de Viège, tout comme dans quatre autres sites situés plus en aval: Sierre/Chippis, Sion, coude du Rhône et Collombey/Aigle.

La mesure prioritaire de Viège vise à sécuriser un tronçon du Rhône de 8 km entre Brigerbad et Baltschieder. Après une mise à l’enquête en juin 2006, suivie de l’approbation des plans en juin 2008, les travaux ont débuté en janvier 2009 et devraient durer jusqu’en 2022. Le but du projet est simple: dimensionner le Rhône afin qu’il puisse absorber sans dommage majeur une crue centennale. Et, conformément à la philosophie de gestion intégrale du risque propre au projet R3, de prendre les mesures constructives ou réglementaires à même de minimiser les conséquences humaines et matérielles d’une crue extrême (voir entretien p. 8). Sur les cartes de danger, qui sont à la base des décisions sur les possibilités d’aménagement, cela signifie tout simplement que la grande majorité des surfaces situées pour l’heure en zones de danger élevé, moyen ou faible se retrouveraient hors zone de danger ou en zone de danger résiduel pour les corridors d’évacuation des crues extrêmes. Grâce à une première étape des travaux, c’est aujourd’hui le cas pour la zone située sur la rive gauche du fleuve en amont de la confluence avec la Vispa, avec à la clé la perspective d’investissements de l’ordre de plusieurs centaines de millions de francs et des centaines de nouveaux emplois sur le site industriel.

Repenser et adapter un territoire

Mais cette opération ne s’apparente pas à un simple coloriage sur une carte. Elle a été conçue selon différents axes, dont les travaux effectués sur le fleuve même – les plus visibles – ne sont qu’un aspect parmi d’autres. En effet, redessiner le Rhône pour lui permettre d’absorber sans dommage une crue centennale implique de lui donner plus d’espace. Or la région de Viège est densément bâtie et compte de nombreuses infrastructures industrielles, ferroviaires et routières, qui cohabitent avec le fleuve et ses digues. Pour satisfaire aux exigences du projet R3, il a notamment fallu modifier le tracé du contournement routier de la ville par le nord, tout comme celui d’un gazoduc contenu dans la digue nord. Une ligne électrique aérienne de 65 kV passant sur la rive droite a dû être enterrée et le pont de Baltschieder rehaussé : si son gabarit permettait théoriquement le passage d’une crue, la prise en compte de vagues et du charriage d’arbres a rendu cette opération nécessaire.

Le lit du fleuve a quant à lui été élargi là où il était possible de lui offrir de l’espace pour s’étaler, sinon approfondi. Les digues ont été renforcées contre l’érosion au moyen d’empierrements et d’une végétation de rive permettant d’ajouter une valeur environnementale aux travaux de sécurisation. Les deux kilomètres de digue longeant le site industriel ont été étanchéifiés au moyen d’un voile d’environ 50 cm d’épaisseur et 11 m de profondeur, composé d’un mélange de ciment, de bentonite et des matériaux terreux de la digue.

Digues submersibles

Le dimensionnement d’ouvrages à même d’absorber une crue centennale repose sur le calcul du débit théorique de cette crue, en fonction de l’historique d’un cours d’eau. Mais des crues extrêmes dépassant une crue centennale doivent aussi être prises en compte. Ces débits doivent être gérés pour éviter des dégâts majeurs: les conséquences des débordements sont synonymes non seulement d’inondations, mais surtout de rupture de digues en des lieux imprévisibles.

Que faire dès lors pour tenir compte de ce risque de crue extrême? Une solution serait de surdimensionner l’ouvrage en élargissant davantage, une autre de surélever les digues. La première est très gourmande en terrains et la deuxième, en augmentant encore le niveau maximum du fleuve, rendrait une rupture de digue encore plus dangereuse.

Une autre solution consiste à prendre en compte ce risque résiduel de débordement mais à le confiner dans des zones prédéfinies, moins construites, afin d’éviter une inondation de secteurs à plus hauts dégâts potentiels. C’est cette dernière option qui a été retenue par R3.

En amont comme en aval de Viège se trouvent désormais deux digues submersibles. À partir d’un certain débit, l’eau pourra librement s’écouler par-dessus pour inonder les rives. Mais cette submersion ne comporte aucun risque de rupture, car ces digues ont été conçues pour y résister. La digue submersible amont, au niveau de Brigerbad, a pour mission d’empêcher un débordement du Rhône dans la ville de Viège en dirigeant l’eau vers la rive droite. La digue aval, quant à elle, protège la zone de Baltschieder de l’action combinée du Rhône et de la Vispa, en déversant le surplus d’eau vers les terres agricoles de la rive gauche. Le risque résiduel ne demeure que dans ces zones prédéfinies.

Gérer les extrêmes

Le risque résiduel est considéré pour des événements extrêmes – par définition très rares et de grande ampleur – donc significativement plus importants que la crue d’octobre 2000. Dans le cadre du projet R3, le système de protection contre les crues extrêmes doit satisfaire aux principes suivants:

- en cas de surcharge, le système de protection contre les crues doit se comporter de manière robuste et peu sensible ;

- des dommages d’inondation limités sont admis. Des processus soudains avec une évolution des dommages non contrôlables sont en revanche à éviter ;

- des ruptures de digues non contrôlées, entraînant des inondations soudaines, rapides et dangereuses, doivent être évitées par des retours d’eau prédéfinis dans la plaine ; le déversement par-dessus des digues hautes et non protégées n’est pas toléré ;

- même en cas de surcharge, les risque résiduels doivent être minimisés autant que possible.

À cette fin, il est souhaitable de décharger le surplus d’eau du côté de la rive présentant les plus faibles dommages potentiels et de le faire transiter par des corridors d’évacuation dans lesquels les dégâts causés seront moindres. C’est l’avantage des digues submersibles. Contrairement à une rupture de digue qui laisserait passer plusieurs mètres d’eau dans la plaine, la digue submersible ne laisse passer que le surplus d’eau, les quelques centimètres qui déborderaient sinon ailleurs de manière incontrôlée. Le choix d’une rive pour la gestion du risque résiduel se base donc sur le seul dommage potentiel et la faisabilité technique, en prenant en compte la topographie.

Sécurité renforcée sur l’entier du tronçon

Dans les couloirs de risque résiduel, la situation de danger par rapport aux crues n’est étonnamment pas aggravée. Au contraire, dans toutes les surfaces – et notamment celles restant dans les corridors d’évacuation –, la protection contre les crues est améliorée de manière significative par rapport à la situation actuelle. Comme l’intégralité de la vallée du Rhône, ces zones seront à terme protégées au minimum contre le risque de crue centennale alors qu’aujourd’hui elles sont menacées par des crues deux fois plus fréquentes et avec des phénomènes plus brutaux comme des ruptures de digue. Loin d’être un aveu de faiblesse d’ingénieurs qui ne seraient pas capables de dimensionner une crue ou un ouvrage, cette approche par paliers a au contraire le mérite d’une gestion aussi humble que pragmatique d’un risque qui ne sera jamais nul.

Magazine