Icô­ne en de­ve­nir ou ca­thé­dra­le dans le dé­sert?

Pont de Messine

Data di pubblicazione
08-04-2025
Laura Ceriolo
Architecte, docteur en histoire des sciences et techniques de la construction

L’histoire du pont sur le détroit de Messine oscille entre rêve d’ingénieurs, ambitions politiques et débats économiques. Aujourd’hui, un cap semble franchi: la faisabilité structurelle ne fait plus débat. Andrea Taras, professeur d’ingénierie structurelle à l’EPFZ et membre de la Commission scientifique du projet, l’affirme: les choix techniques sont solides, et l’ouvrage repose sur des principes éprouvés. 

Mais un pont ne se résume pas à sa structure. Il s’inscrit dans un système plus vaste, où son efficacité dépendra des infrastructures qui l’accompagnent. Le concessionnaire Stretto di Messina S.p.A. a précisé les étapes du projet après son déblocage en 2023 et l’approbation du projet définitif en 2024. Les travaux devraient commencer en 2025 pour une mise en service en 2032. Pourtant, une question demeure: ce pont transformera-t-il réellement le territoire ou restera-t-il une cathédrale dans le désert? 

Le projet s’inscrit certes dans une vision européenne. En 2024, le Conseil de l’Europe l’a ainsi intégré au corridor Scandinavie-Méditerranée, axe majeur du réseau trans-européen de transport (RTE-T). Selon Stretto di Messina S.p.A., il contribuerait à l’objectif du Green Deal européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 90% d’ici 2050, grâce au report modal vers le rail. Mais les économistes Andrea Giuricin et Marco Ponti nuancent cet enthousiasme. Un tel ouvrage ne doit pas être un simple emblème technologique, mais un levier réel de développement économique, vecteur de progrès. À qui profitera réellement cet investissement colossal? 

Sans un réseau ferroviaire performant et une intégration aux corridors transeuropéens, il risque de rester un symbole isolé. À l’inverse, s’il s’accompagne d’une modernisation des infrastructures, il pourrait repositionner l’Italie au cœur des échanges méditerranéens et réduire le fossé entre nord et sud. 

Avec ses 3300 m de portée principale, l’ouvrage deviendrait le plus grand pont suspendu du monde, surpassant le pont de Çanakkale en Turquie (2023 m) et l’Akashi Kaikyō au Japon (1991 m). Il serait aussi le premier à conjuguer trafics ferroviaire et routier à cette échelle. 

Son envergure monumentale pourrait en faire une icône, rejoignant les ponts qui, comme le Golden Gate, le pont de Brooklyn, le viaduc de Millau ou le pont de Normandie ont marqué l’histoire des infrastructures. Même s’il ne devait jamais voir le jour, il restera tout de même un prototype et un moteur de progrès pour la recherche sur les grands franchissements. Certains des développements réalisés dans le cadre de ce projet ont d’ailleurs déjà été mis en œuvre sur d’autres ouvrages de par le monde. 

Plus largement, la confiance dans les grandes infrastructures est aujourd’hui un enjeu crucial. De Baltimore à Gênes, chaque effondrement rappelle l’importance d’une conception rigoureuse et d’une maintenance constante et intransigeante. Le pont de Messine ne devra donc pas seulement prouver sa faisabilité technique, mais aussi incarner une vision concrète de développement durable, capable de transformer les investissements en bénéfices tangibles pour le territoire.

Cet article fait partie du dossier Pont de Messine: icône en devenir ou cathédrale dans le désert de la revue TRACÉS du mois d'avril 2025:

Un détroit, des défis

Conception et validation scientifique

Mirage ou clé du futur européen?

Des guerres puniques à nos jours, histoire d’un projet


 

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