Con­struc­tion des pon­ts de la Dur­ch­mes­ser­li­nie

Les voyageurs qui prennent le train en gare centrale de Zurich ne peuvent manquer d’observer l’énorme cintre mobile jaune servant à la construction du tablier du Letzigrabenbrücke. Ce pont, dont la construction des piles a débuté en 2009, constitue, avec son petit frère le Kohlendreieckbrücke, l’essentiel de la partie visible du projet de la Durchmesserlinie, actuellement en cours de réalisation.

Data di pubblicazione
17-08-2012
Revision
19-08-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Les deux ponts en construction dans le cadre de la Durchmesserlinie serviront de sortie ouest de la nouvelle gare souterraine Löwenstrasse. Leur mise en service, en 2015, améliorera la fluidité du trafic en provenance ou en direction de l’ouest. Les convois ferroviaires ont en effet à franchir, du nord au sud ou du sud au nord, la plupart des voies ferrées qui accèdent à la gare centrale de Zurich. Actuellement, cette traversée se fait au niveau du sol, une solution qui limite la vitesse des trains qui parcourent le tronçon reliant la gare centrale à celle d’Altstetten.

A toute vitesse au-dessus des voies

Alternative étudiée à la solution choisie de passer au-dessus des voies, une variante souterraine pour croiser les voies existantes a été rapidement abandonnée. D’abord, d’un point de vue logistique, il aurait fallu réaliser des tranchées couvertes sous des voies qui devaient pour la plupart demeurer en service. Cela aurait aussi imposé de mettre en place de nombreux ponts provisoires et engendré des difficultés majeures en matière d’organisation de chantier. Les voies auraient de plus dû être enterrées dans des terrains de très mauvaise qualité. Enfin, la solution était économiquement peu attrayante et la construction des tranchées aurait considérablement perturbé les écoulement dans la nappe phréatique.
C’est ainsi qu’on en est arrivé à la solution aujourd’hui en cours de construction qui, en plus de réduire certains des inconvénients mentionnés précédemment, devrait offrir aux futurs voyageurs une vue particulièrement spectaculaire sur la ville de Zurich. Une solution qui n’a pas pour autant résolu toutes les difficultés évoquées plus haut. Parmi celles-ci, il n’a bien sûr pas été possible de s’affranchir totalement de l’environnement particulièrement chargé dans lequel les travaux doivent se dérouler : plus de 18 voies donnent accès à la gare centrale et les trains passent actuellement sous deux ponts existants (Duttweilerbrücke et Hardbrücke) que les futurs ouvrages doivent aussi franchir (fig. 2 et 3). Il faut de plus évidemment perturber le moins possible la fluidité du trafic ferroviaire.

Des points d’appui pour d’élégants ponts en béton

Les responsables du projet ont donc commencé par définir le profil en long des ponts, en choisissant notamment le positionnement des points d’appui au sein des voies existantes. Un choix qui n’a pas pu être fait sans avoir à déplacer certaines voies afin de libérer l’espace nécessaire aux piles. En plus de cela, on a cherché à définir des travées aussi régulières que possible, tout en veillant à éviter des portées excessives. La trajectoire en plan doit en outre permettre aux trains de circuler à une vitesse de 80 km/h sur le Kohlendreieckbrücke et même de 120 km/h sur le Letzigrabenbrücke. On en est ainsi arrivé à diviser en 24 travées (de 34,5 à 60,8 mètres) les quelque 1 600 mètres (y compris rampes) du Letzigrabenbrücke, et les 760 mètres du Kohlendreieckbrücke en 8 travées (de 50 à 62 mètres). A noter encore que la courte distance disponible pour rejoindre le niveau des voies de la gare d’Altstetten fait que le raccord ouest du Letzigrabenbrücke se fait avec une pente de 4 %.
La section du tablier a une forme en U évasé (fig. 7), dont la base a une largeur suffisante pour accueillir l’unique voie qui empruntera le pont. L’équipement technique de ce dernier doit permettre la circulation des trains dans les deux directions, même si son exploitation régulière ne prévoit des trains qu’en direction de l’ouest. Les parties inclinées latérales ont en général une hauteur extérieure de 3,7 m, qui n’est toutefois que de 3,2 m jusqu’à la pile 10 du Letzigrabenbrücke. Si ces éléments verticaux contribuent à la lutte contre le bruit sur le Letzigrabenbrücke, des parois antibruit devront être construites sur Kohlendreieckbrücke afin d’obtenir un assainissement phonique optimal. Les deux ponts sont précontraints longitudinalement par 12 câbles qui suivent des trajectoires paraboliques.

224 pieux de fondation pour les appuis

Si le projet a d’abord nécessité de réaliser des travaux pour la mise sous terre de câbles d’alimentation électrique, la construction du Letzigrabenbrücke à proprement parler a débuté par la réalisation de ses 23 points d’appui : 21 piles pouvant atteindre 16 mètres de hauteur et deux cadres, au milieu du pont (fig. 4 et 5). Compte tenu de la mauvaise qualité des terrains pour les points d’appui, il a fallu que chacun d’entre eux reposent sur des pieux (6 ou 12 selon les cas) de 1,2 mètres de diamètre et d’une longueur variant de 13 à 36 mètres. La capacité portante de ces pieux forés se répartit à raison d’environ 30 % de résistance en pointe et 70 % de résistance par frottement latéral. Une fois les pieux réalisés, on a procédé à la construction, sur ceux-ci et parfois à l’abri de palplanches, de semelles de fondation en béton particulièrement massives, puisque leur épaisseur pouvait atteindre jusqu’à 3,5 mètres (fig. 6).
Une fois les fondations créées, on a pu procéder au coffrage, au ferraillage et au bétonnage des piles à proprement parler (fig. 8). Ce travail a systématiquement été réalisé par étapes : d’abord le fût vertical (une ou deux étapes), puis la tête sur laquelle le tablier du pont doit s’appuyer (fig. 9). Du point de vue des efforts horizontaux, les piles sont à même de reprendre des efforts transversaux, mais sont entièrement libres longitudinalement. La stabilité dans cette direction est en effet garantie uniquement par les deux cadres situés près du milieu du pont. A partir de ces cadres, le pont est libre de se dilater sur toute sa longueur : les deux seuls joints de dilatation, situés à l’extrémité des rampes est et ouest, permettent d’absorber des mouvements de l’ordre de +/- 20 cm.
La présence de deux cadres (appuis 12 et 13 du Letzigrabenbrücke) parmi les appuis répond d’abord à des questions d’exploitation : compte tenu des voies existantes, il était presque impossible de positionner des appuis ponctuels dans la zone concernée. Il a ainsi été imaginé de créer des structures qui aient des points d’appui qui ne soient pas forcément situés dans l’axe du pont et dont les fondations sont assymétriques (fig. 5). 
La solution des cadres offre de plus un important avantage statique, puisqu’elle permet de créer des points pour la reprise des efforts longitudinaux. En revanche, la reprise des efforts verticaux passe par la création d’importants moments de flexion au sein de la composante horizontale du cadre. Une problématique qui a toutefois pu être résolue en recourant à une forte précontrainte de cet élément (10 câbles pour chaque cadre). Au niveau de l’activation de cette précontrainte, il a fallu tenir compte qu’une part importante des efforts que l’élément horizontal aurait à subir n’apparaîtrait qu’une fois les travées construites, impliquant une mise en tension différée des câbles. 40 % de la tension sera ainsi mise en service directement après le bétonnage, le reste l’étant lors de la construction des travées deux ans plus tard.

Une logistique complexe

Compte tenu des impératifs liés à l’exploitation des voies CFF, notamment la régularité des horaires, la construction des piles proches des voies a essentiellement dû être réalisée de nuit. D’un point de vue logistique, cela signifie que la desserte des chantiers devait se faire principalement par train : machines de forages pour les pieux, installations de mise en place des palplanches ou de bétonnage, évacuation et livraison de matériaux.
Dans certains cas, avant de procéder aux travaux de construction, il a fallu déplacer des voies afin de libérer l’emprise nécessaire pour les points d’appui du nouveau pont. Les piles sont réalisées l’une après l’autre, puisque ces travaux nécessitent tous l’usage du même coffrage fabriqué spécialement pour ce chantier. Selon l’emplacement, la construction d’une pile et de ses fondations prend environ deux mois. 

Les rampes d’accès

La construction des rampes d’accès se fait parallèlement à celle des piles, mais avant celle des travées du pont (fig. 12). Ces rampes ont une longueur totale de 800 mètres sur les quelques 2 400 mètres des deux ponts (Letzigrabenbrücke : rampe ouest 220 mètres et rampe est 210 mètres ; Kohlendreieckbrücke : rampe ouest 220 mètres et rampe est 150 mètres).
A l’instar des autres points d’appui, les rampes sont également fondées sur des pieux, mais dont le diamètre de 90 cm est inférieur à celui des piles. Les pieux des rampes sont espacés de 8,5 mètres et sont construits selon deux parallèles à l’axe du pont, distantes de 6,6 mètres (fig. 11). La section des rampes varie au fur et à mesure que celles-ci s’élèvent (fig. 15). Sur leur partie supérieure, elles comprennent d’abord une dalle de 25 cm qui repose sur deux surépaisseurs longitudinales de 55 cm le long de l’axe des pieux. Puis sont construits deux nouveaux murs verticaux à l’intérieur desquels l’infrastructure ferroviaire sera posée. Enfin, l’érection de murs latéraux de 60 cm sur lesquels repose une dalle horizontale de 62 cm a permis la création d’une cavité servant à récupérer les eaux de pluie qui, collectées dans des bassins d’infiltration, vont ensuite rejoindre la nappe phréatique. Sur les 40 derniers mètres des rampes en direction du pont, la forme des murs latéraux change progressivement afin d’adopter la forme en U de la section des travées du pont.
Dans leurs parties moins élevées, les rampes sont constituées de murs longitudinaux dont les bases sont d’abord reliées ponctuellement dans la partie la moins haute, puis par une dalle continue lorsque la hauteur s’accroît. Le volume entre les murs est alors rempli avec de la grave, recouverte à son tour par une structure bitumineuse sur laquelle la voie sera construite.

Une solution incontournable et spectaculaire

La spectaculaire méthode de construction du tablier, qui fait appel au gigantesque cintre mobile que les passagers des trains accédant à la gare de Zurich ne peuvent manquer de voir, s’est imposée d’elle-même : compte tenu du contexte, il était inimaginable de créer des points d’appui provisoires pour construire le tablier en béton. C’est donc une solution prévoyant l’usage d’un cintre mobile qui a été imposée lors de l’appel d’offres. La construction devait avoir lieu d’est en ouest, sans perturbation du trafic ferroviaire.
Une des particularités du système retenu tient au fait qu’une grande partie du cintre utilisé à Zurich a été « récupérée » du chantier de construction des ponts à proximité du portail valaisan du tunnel de base du Lötschberg. Il s’agit d’un dispositif d’une longueur totale de 91 mètres qui se répartissent entre le porteur principal (67 m) sur lequel a lieu le bétonnage et d’un avant-bec (24 m) qui permet un appui provisoire du cintre lors du déplacement du cintre. Pour simplifier, on peut présenter la construction de chaque travée en la divisant en deux phases : avancement du cintre et bétonnage (fig. 13).
Pour ce qui concerne la première phase, le cintre commence par être poussé en direction de la pile (ou du cadre) situé à l’extrémité ouest de la travée à bétonner. Le déplacement du cintre est assuré par des vérins qui s’appuient sur la partie déjà construite du pont : grâce à un dispositif relativement simple des points de fixation avec des goupilles, le cintre avance par pas d’environ un mètre. Trois personnes suffisent pour faire avancer le cintre : deux demeurent sur la partie déjà construite du pont à proximité des vérins (le chef de l’avancement actionne les vérins et un manœuvre est chargé de la mise en place des goupilles des points d’appui fig. 14), alors que la troisième personne, en contact radio permanent avec le responsable de l’actionnement des vérins, se trouve à l’autre extrémité du cintre et assure que le dispositif reste dans l’axe théorique du pont. Une fois le point d’appui ouest atteint par l’extrémité du bec, on installe à son sommet un appui provisoire (« Y-Bock ») sur le sommet duquel le bec pourra continuer à glisser jusqu’à que le porteur principal atteigne à son tour la tête de la pile suivante. 
Une fois ledit porteur principal en place, la seconde phase peut commencer : mise en place du coffrage, des armatures et des câbles longitudinaux de précontrainte, et enfin bétonnage à proprement parler.
La travée est coulée en deux étapes. La première consiste à réaliser la partie inférieure de la section – à savoir la cuvette du pont dans laquelle viendra s’insérer la voie ferrée – alors que la seconde permet de compléter la section en achevant la partie supérieure des parois inclinées. Pour la première étape, 340 m3de béton sont livrés par des camions qui accèdent au chantier à partir de la rampe est et alimentent une pompe installée sur le cintre. Deux jours plus tard, on procède au bétonnage de la seconde étape durant laquelle ce sont cette fois 120 m3 de béton qui sont mis en place (les chiffres donnés correspondent à une travée moyenne de 50 mètres). 
Une semaine après le bétonnage de la première étape, 50 % de la précontrainte (50 % de fck, cube ? 25 N/mm2) est mise en tension, le solde (107 % de fck, cube ? 32 N/mm2) étant appliqué sept jours plus tard.

Un rythme régulier pour une mise en service en 2015

Au terme de la mise en place du système, il faut compter avec une durée d’environ cinq semaines pour chaque étape. Six travées ont été réalisées à ce jour et, selon le calendrier actuel, les travaux de démontage du cintre devraient être achevés fin 2014.
Du côté est, les travaux de construction du tablier du Kohlendreickbrücke viennent de commencer. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’utiliser un cintre mobile et les travées du pont sont construites sur des dispositifs fixes posés au sol. Cependant, compte tenu de la mauvaise qualité des terrains, il a fallu construire des pieux de fondation pour supporter les charges pendant la phase de construction. Une variante de réalisation a toutefois dû être mise en place pour une des huit travées, puisque le tracé du Kohlendreickbrücke impose de passer au-dessus d’un bâtiment : il est prévu d’utiliser à cet endroit un cintre auquel seront suspendus les équipements nécessaires à la construction de la travée en question. Ces travaux auront lieu au cours des deux années à venir et les ponts devraient pouvoir être mis en service en décembre 2015, après la fin des travaux d’équipements des voies.

Christoph Schlatter et ingénieur civil chez Locher Ingenieure AG, Zurich
Michel Brun est ingénieur civil aux CFF, Zurich

 

Letzigrabenbrücke

 

Longueur totale: 1 600 m
Longueur du pont sans rampes: 1 156 m
Pentes (montée / descente): 27  / 40 
Nombre de piles: 23
Hauteur des piles: jusqu’à 16 m KohlendreieckbrückeLongueur totale: 760 m
Longueur du pont sans rampes: 394 m
Pentes (montée / descente): 27  / 26 
Nombre de piles: 7
Hauteur des piles: jusqu’à 8 m Planning06/2008 - 12/2009 Travaux préparatoires 
01/2009 - 02/2014 Piles et rampes du Letzigrabenbrücke
05/2010 - 09/2014 Piles et rampes du Kohlendreieckbrücke
08/2011 - 10/2014 Tablier Letzigrabenbrücke
07/2012 - 05/2014 Tablier Kohlendreieckbrücke
01/2015 - 12/2015 Equipements techniques des ponts Coûts
Construction infrastructures: 180 mio CHF
Equipements techniques ferroviaires: 120 mio CHF

Articoli correlati