Amélioration foncière intégrale pour la H144
L’implantation d’une nouvelle infrastructure routière de l’importance de la H144 affecte la propriété foncière. Les remaniements nécessaires ont été mis en place dans le cadre d’une amélioration foncière intégrale qui a en outre inclus les mesures environnementales.
La nouvelle route H144 se situe dans la région du Haut-Lac, entre les rives du Rhône et les communes de Villeneuve et Aigle. Réputée pour ses espaces naturels et son activité agricole, cette région recèle de grands territoires ouverts permettant le développement de sites d’habitat ou industriels. D’ailleurs, le projet a nécessité une coordination avec plusieurs grands projets en cours dans cette région : construction de l’Hôpital Riviera-Chablais, réfection de la RC780, création du canal du Haut-Lac, sécurisation des rives de l’Eau Froide, 3e correction du Rhône, etc. Pour l’agriculture, ce territoire est en outre un site privilégié : la présence de la nappe phréatique permet une irrigation aisée de toutes les cultures maraîchères et les travaux de drainage ont rendu les terres agricoles fertiles et productives. Le climat favorable permet aux cultures maraîchères d’avoir entre deux et trois semaines d’avance sur l’ensemble de la production suisse en pleine terre. Il s’agit d’un endroit stratégique qui a vu se développer des grandes entreprises agricoles, compétitives et bien positionnées dans un marché très délicat.
Un territoire bouleversé
L’espace nécessaire à la route ainsi qu’à son chantier a nécessité des emprises temporaires et définitives impliquant d’élargir la réflexion à un territoire bien au-delà de la bande routière elle-même. Par ailleurs, cette région est essentiellement organisée par des structures parallèles au Rhône. La H144 provoque une coupure transversale qui déstructure les systèmes existants. Une évaluation multicritères en 2003-2004 regroupant tous les acteurs de ce territoire a mis en évidence la nécessité d’opter pour une procédure foncière sur une bande faisant plus d’un kilomètre de large de part et d’autre de la route. Un accompagnement territorial lié à la construction de la route a été décidé dès 2005.
Mesures intégrées au remaniement
La construction de la H144 est accompagnée d’un volet environnemental destiné à compenser les effets nuisibles de la route, mais aussi à organiser les valeurs naturelles de façon optimale (renforcement de sites naturels, mise en réseau écologique, etc.). L’étude d’impact a fixé le contenu des mesures environnementales. S’il est aisé de réaliser de telles mesures à proximité du cordon routier, la création d’espaces naturels à une certaine distance de celui-ci en complique la mise en œuvre. Même si, à terme, on obtient de nouveaux espaces naturels de qualité, leur réalisation implique des mesures d’accompagnement pour les intégrer dans le territoire. Il a été décidé que l’intégration des mesures environnementales dans la propriété foncière se ferait au travers de la procédure foncière de la H144.
L’emprise définitive de la route elle-même concerne une surface de 11.7 hectares. Il convient d’y ajouter une surface de 33.6 hectares pour les mesures environnementales. En termes de consommation de surface, la venue de cette route concerne un territoire quatre fois plus grand que sa surface définitive. A cela, il faut encore rajouter 14.8 hectares d’emprises provisoires nécessaires au bon déroulement des travaux.
La H144 coupant tous les systèmes de communication, certains domaines agricoles se sont trouvés séparés ou scindés par la route. Il a donc fallu regrouper de part et d’autre de la H144 les terres productives autour des centres d’exploitation. La modification des circulations et la répartition des domaines qui en a découlé ont entraîné des lacunes dans les réseaux de drainage et de chemins réalisés il y a plusieurs décennies, rendant nécessaire une adaptation de ces réseaux. La seule façon de proposer des solutions équitables et adaptées pouvant s’insérer dans ce territoire de 530 hectares était de procéder à un remaniement parcellaire.
Le prix des concessions territoriales
Le Syndicat d’améliorations foncières (SAF) de la H144 est un syndicat obligatoire qui a été constitué sur décision du Conseil d’Etat pour faire face à l’ampleur des perturbations provoquées par les grands travaux et la volonté de les compenser. Il est constitué de divers acteurs de la région concernée. La majorité des frais inhérents au syndicat sont payés par l’ouvrage routier. Aucune contribution n’a été demandée aux propriétaires, mais de faibles contributions pour des objets spécifiques ont été perçues auprès des communes.
A l’origine, le coût global du remaniement parcellaire était estimé à environ 2.7 mio fr., et les quelques mesures d’améliorations foncières à env. 700000 fr. Lors des négociations entre le Syndicat et les producteurs agricoles, il est clairement apparu que ces derniers considéraient les concessions faites à l’environnement comme beaucoup plus élevées que ce qui était fait pour eux. Une approche plus fine des préjudices subis par le monde agricole a mis en évidence les spécificités de leurs cultures, les bonnes performances qu’ils avaient sur le marché, mais aussi leur vulnérabilité face à ces transformations.
La politique agricole 2011 (PA2011) de la Confédé-ration a confirmé la position stratégique du Haut-Lac et la nécessité de conserver son potentiel de production agricole. Le gouvernement vaudois a considéré, avec la Confédération, qu’une rénovation et une remise à niveau de cette région étaient nécessaires pour accueillir la H144. Il a donc été décidé de procéder à une amélioration foncière intégrale (AFI), comprenant un remaniement parcellaire, le développement d’infrastructures et des mesures d’accompagnement. Si le prix du remaniement n’a pas changé (2.7 mio fr.), le montant des améliorations foncières est par contre passé de 0.7 mio fr. à 4.3 mio fr.
Une amélioration foncière intégrale (AFI)
Une AFI est un outil de transformation territoriale qui agit sur le foncier (propriété), les structures de production (bâtiments, cultures, filières de production, etc.), les infrastructures communales (domaine public, chemins, etc.), tout en intégrant les aspects sociaux, économiques et environnementaux liés au territoire. Il s’agit d’une extension des fonctionnalités d’une amélioration foncière traditionnelle qui, usuellement, ne concerne que les parcelles et les chemins. Le principe est d’avoir une approche multifonctionnelle sur l’ensemble des acteurs. L’AFI permet de mieux utiliser le sol de façon à ce que plusieurs acteurs puissent en faire un usage complémentaire.
Dans le cadre de la H144, elle a permis de rénover les voiries agricoles et de développer des réseaux écologiques cohérents. Elle a aussi favorisé la mobilité douce et la circulation de transports publics entre les villages et a intégré les effets collatéraux de la venue de l’Hôpital Riviera-Chablais.
Au total, 530 hectares ont été réorganisés, 142 propriétaires impliqués, mais un seul recours au Tribunal administratif a été déposé. Des chiffres qui tendent à prouver qu’il s’agit d’un outil (peut-être le seul) capable d’ancrer le projet dans le droit foncier à travers une procédure équitable qui garantit d’aboutir à un résultat concret.
Remaniement obligatoire en zone maraîchère
Les maraîchers sont des commerçants réactifs et d’habiles négociateurs. A ce sujet, il faut savoir que l’indemnisation annuelle d’une perte de culture maraîchère est de 70'000 fr./ha alors qu’elle n’est que de 4000 fr./ha pour une culture agricole. Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes lorsqu’il s’agit d’évoquer les particularités d’un remaniement obligatoire dans une zone maraîchère. Les 14.8 hectares d’emprises temporaires ont nécessité de déplacer constamment les parcelles productives afin de libérer des espaces et de minimiser les indemnités dues. Pour cela, un deuxième remaniement d’échanges de parcelles pendant la phase des travaux a été mené parallèlement à celui du foncier.
L’essentiel des opérations de toute AFI repose sur le principe de l’équité de traitement de tous les propriétaires et exploitants, un élément clé du succès de l’opération. Une commission de classification (CCL) a œuvré en permanence depuis 2005, écoutant l’ensemble des acteurs, prenant et appliquant des décisions. La CCL est composée d’experts dans le cas présent de maraîchers et agriculteurs géographiquement éloignés afin de n’avoir aucun conflit d’intérêt dans la région concernée. Conformément à la loi, elle est la première instance de recours pour tous les aspects fonciers. Elle est appuyée par le technicien du Syndicat et secrétaire de la CCL.
Quelques éléments significatifs
Le principe d’une négociation foncière est que chaque acteur soit gagnant, et que tous le soient de façon similaire. Cela a été le cas pour les propriétaires, les exploitants, les auteurs du projet et finalement pour l’ensemble de la population qui bénéficiera de ces infrastructures : au final, la nouvelle situation se traduira par une amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
Le chantier de la H144 a mis en place un suivi environnemental de réalisation (SER) qui a veillé à l’application des dispositions légales liées à l’environnement durant la réalisation du chantier, mais a aussi eu pour charge de restituer des terres de qualité à l’agriculture.
Le Syndicat d’améliorations foncières (SAF) a conduit toute la gestion de la remise en état des terres après travaux, ce qui est une nouveauté. Il a également permis d’intégrer d’autres entités de grands travaux, telles les Entreprises de corrections fluviales (ECF) du Canal du Haut-Lac ou du Canal de Pra-Riond liées à la venue de l’hôpital Riviera-Chablais, donnant naissance à un syndicat en terrain à bâtir sur la commune de Rennaz (SAF des Cornettes).
Les propriétaires vont prendre possession de leurs nouvelles parcelles et procéder à leur première mise en culture le 1er novembre 2012. Les chantiers liés au remaniement (chemins, puits de captage, drainages, etc.) vont débuter à fin octobre 2012. Les automobilistes de la H144 vont donc découvrir un nouveau territoire agricole et un paysage intégrant des mesures environnementales et des nouvelles infrastructures agricoles.
Claude-Alain Vuillerat est ingénieur géomètre. Il travaille au sein du bureau B+C Ingénieurs à Montreux. Il a officié comme technicien et secrétaire de la CCL H144.
« Certaines mesures sont déjà achevées »
François Petriccioli est ingénieur civil, travaille pour le Service des routes du canton de Vaud et assure la direction générale du projet de la H144. Il dresse un bref bilan du chantier.
Tracés: Quelles sont les principales perspectives offertes par la prochaine mise en service de la H144 le 8 novembre 2012 ?
François Petriccioli: La mise à disposition d’une liaison transversale efficace dans la basse plaine du Rhône constitue bien sûr un événement attendu depuis plusieurs générations. Si cette route facilitera considérablement l’accès à l’autoroute A9, son ouverture sera aussi accompagnée par la mise en place dans un proche avenir (fin 2013) d’un nouveau bus régional reliant Port-Valais (Le Bouveret et les Evouettes) à la gare de Villeneuve. Il s’agira là de la première étape d’une réorganisation des transports publics destinée à desservir le nouvel hôpital du Chablais et à améliorer l’ensemble des lignes régionales et urbaines de la zone comprise entre St-Gingolph, Monthey, Aigle et la Riviera vaudoise. De plus, la H144 s’intègre dans les projets portant concernant la gestion des eaux de cette partie de la vallée du Rhône.
Du côté valaisan, il s’agira de poursuivre l’amélioration de la liaison routière en direction de la France. Cela passera par la réalisation des évitements de trois villages : les Evouettes où le début des travaux est prévu en 2013, St-Gingolph dont le projet a été mis à l’enquête au printemps 2012 et enfin, le Bouveret, qui en est encore au stade des études de faisabilité. On constate ainsi que la construction de la H144 est le premier élément d’un série de projets d’avenir pour le Chablais.
Les quatre ouvrages d’art de la H144 avaient été l’objet de concours combinés : comment jugez-vous le résultat final?Je pense que nous pouvons être particulièrement satisfaits du résultat obtenu pour chacun des quatre ouvrages. De façon générale, un des objectifs était d’assurer une bonne intégration à la H144 en la maintenant la plus proche possible du terrain existant : les solutions réalisées sur la base des résultats du concours respectent admirablement cette intention. D’autre part, la collaboration avec les architectes pour concrétiser leurs exigences esthétiques lors de la réalisation a été une des tâches les plus gratifiantes de ce projet; et le résultat (les ouvrages) vaut tous les efforts consentis par les acteurs du projet.
Vous avez évoqué l’intégration visuelle du projet, qu’en est-il des aspects environnementaux?C’est un des éléments dont la direction de projet, à laquelle je tiens à associer MM. Bovay et Pedretti à qui j’ai succédé, est la plus satisfaite. En effet, et contrairement à ce que j’ai généralement pu observer dans d’autres projets, une part importante des mesures environnementales a pu être réalisées lors du chantier de la route : nous avons ainsi déjà construit tout le génie civil nécessaire pour les mesures environnementales dont nous maîtrisions le foncier. Certaines mesures sont déjà achevées et sont en passe d’être remises aux entités chargées de leur entretien. Les autres, qui dépendent du nouvel état foncier, ont été intégrées dans les travaux collectifs pour être réalisées d’ici au printemps 2014.
A cet égard, je tiens à souligner le travail de la Commission consultative du suivi des mesures écologiques. En plus du suivi, cette commision participe à leur intégration dans le syndicat d’améliorations foncières. Elle est composée de représentants de tous les partenaires du projet et, grâce à leurs efforts, toutes les mesures ont pu trouver leur place et sont mises en œuvre efficacement.
Finalement, en plus des mesures environnementales, nous avons aussi profité du chantier pour procéder à plusieurs essais concernant les matériaux pour la construction de la chaussée. Nous avons ainsi testé ou utilisé des enrobés tièdes ou posés à froid fabriqués avec des matériaux recyclés. Il s’agit là d’un domaine dans lequel il doit être possible de réaliser de substantielles économies d’énergie tout en recyclant des matériaux bitumineux.