Ter­ri­toi­res zom­bie­sques

Ici est ailleurs

Eugène prend conscience que les films de zombies parlent en réalité très bien de l'Homme.

Data di pubblicazione
01-10-2013
Revision
25-08-2015

Cet été, j’ai vu la planète Krypton imploser (Man of Steel), des monstres d’environ 400 mètres jaillirent d’une brèche au fond de l’océan Pacifique pour ravager, par exemple, l’opéra de Sydney (Pacific Rim), et le monde se faire envahir par des zombies agressifs (World War Z). Pour 45 francs, je me suis tapé pour un demi milliard de dollars d’effets spéciaux. Mais là n’est pas mon propos.
A la sortie de WWZ, j’attrape au vol une conversation entre deux spectateurs. « Le roman était tellement mieux… rarement lu une histoire qui se passe sur les cinq continents, dans l’espace et au fond des océans… Hollywood en a fait de la charpie… » Ah bon ? Il y avait un roman au départ ? J’entre dans une librairie et je réalise qu’effectivement j’avais raté un truc.
Sorti en 2006, World War Z : une histoire orale de la guerre des zombies est un roman de Max Brooks, le fils de Mel, un des cinéastes les plus loufoques des années 1970. Son roman prend pour référence en matière de zombies le film culte de Georges A. Romero La Nuit des morts-vivants (1968) : des cadavres qui avancent lentement et ne pensent qu’à dévorer ceux qui ont un cœur qui bat. Seul moyen de les « tuer » : leur éclater la cervelle. Voilà pour le côté gore. Rien que du classique en somme. Le coup de génie de Max Brooks est de s’être inspiré pour structurer sa narration de l’ouvrage La Bonne Guerre, histoires orales de la Seconde Guerre mondiale (1984) du journaliste Studs Terkel. 
L’action se situe à la fin de la guerre contre les zombies. Parti d’un patient zéro situé près du barrage des Trois-Gorges, en Chine, le virus s’est répandu jusqu’à provoquer une effroyable pandémie. Les deux tiers de l’humanité semblent avoir été bouffés. Un rapporteur de la « Commission post-traumatique de l’ONU » recueille les témoignages des survivants aux quatre coins du globe. Chaque chapitre prend la forme d’une interview. Chaque interview raconte un épisode de la Guerre mondiale Z. 
Et Max Brooks crée des mondes de désolation originaux. La panique générale oblige les humains à prendre le large à bord de radeaux, d’esquifs ou de cargos. Toutes ces embarcations s’arriment au milieu de l’océan créant « la Nation Pacifique », exclusivement constituée de réfugiés. Un survivant de Hiroshima, aveugle depuis 1945, trouve enfin un sens à sa vie. Il apprend le maniement du sabre et, tandis que le Japon est évacué sur la péninsule du Kamtchatka, le vieillard décide de devenir le jardinier de l’archipel nippon en « fauchant les mauvaises herbes ». Quant à la Corée du Nord, nulle trace de ses cinquante millions de citoyens. Transformés en zombies ? Ou au contraire se sont-ils cachés dans des grottes secrètes en compagnie de leur Cher Leader, en attendant de remonter à la surface pour dominer le monde ? 
Etonnamment, l’humour est très présent. A cause de la quarantaine américaine isolant l’île de Cuba, la Havane n’est presque pas touchée par l’épidémie et devient… le pôle économique du monde ! « Le peso cubain mène la danse. » 
On plonge dans les abysses pour assister au duel titanesque entre un amiral chinois qui dérobe un sous-marin nucléaire pour sauver un échantillon de l’Empire du Milieu des ordres absurdes du parti communiste et son propre fils, resté fidèle au parti. On monte dans l’espace pour suivre l’équipage de la station orbitale ISS. Ils se connectent sur les satellites espions pour observer les premières concentrations de zombies dans les Grandes Plaines américaines. « C’était énorme, une vraie marée. J’imagine que ça devait ressembler aux grands troupeaux de bisons, jadis », décrit un astronaute. Comme il n’y a plus d’électricité, la Terre se couvre de dizaines de millions de points orange : les feux de camp. « On aurait dit que la planète entière brûlait nuit et jour. » La première victoire militaire contre les zombies se solde par une vision de cauchemar : un mur de six mètres de haut et trente de large entièrement constitué de cadavres de zombies…
WWZ est un roman démesuré, post-apocalyptique, surréaliste, drôle, mondialisé. Le lecteur se remémore la panique mondiale liée au SRAS en 2003, puis la grippe aviaire et le fameux (fumeux  ) Tamiflu. Ce médicament miracle que les gouvernements ont acheté par caisses entières. Décidément, les zombies parlent très bien de nous…

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