Une fa­ble ur­bai­ne à l’ère de l’amour vir­tuel

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La rencontre à Buenos Aires de deux êtres en errance, un concepteur de sites internet agoraphobe et une architecte claustrophobe.

Data di pubblicazione
18-06-2014
Revision
18-10-2015

Avenida Santa Fe à Buenos Aires, au centre de la ville, deux murs aveugles se font face. Martin habite au quatrième étage du numéro 1105. Il est concepteur de sites internet et agoraphobe. Mariana vit au numéro 1183 de la même avenue. Elle est architecte et claustrophobe. Dans la fantasmagorie du monde virtuel où il passe le plus clair de son temps, Martin est invincible. Dans la vraie vie, il a besoin d’un sac de survie et d’un appareil photo pour faire face à l’immensité de la ville. Mariana peine à trouver un emploi comme architecte. En attendant, elle travaille comme décoratrice de vitrines. Dans ses décors, elle cherche à retrouver l’aura des choses, le sentiment d’unicité perdue dans la masse de la grande ville. La vitrine – que Walter Benjamin et Charles Baudelaire considéraient comme la plus moderne des fantasmagories – devient pour elle un espace ouvert et fermé à la fois, une bulle de verre transparente et protectrice où elle peut soigner sa phobie de l’anonymat et de la perte de soi.

Les deux jeunes gens ne se connaissent pas. Ils ont pourtant en commun d’essayer de se remettre d’une rupture amoureuse. Lancés dans la quête du bonheur, ils vivent seuls au milieu d’un océan de câbles : autant de promesses de correspondances cellulaires et virtuelles que de désillusions. Un jour, ils ouvrent une minuscule fenêtre irrégulière dans le mur aveugle de leurs appartements. « Absolument tous les immeubles ont cette façade inutile, inutilisable, qui ne donne ni devant ni derrière », explique Mariana. « Contre l’oppression vécue au quotidien, il n’y a qu’une issue, une échappatoire, illégale, comme toujours. » Ce geste, réparateur et destructeur à la fois, – subtil écho de celui d’un Matta Clark – laisse entrer la lumière dans l’obscurité des appartements et, avec elle, la possibilité de détourner le regard des fenêtres du virtuel.

Medianeras (« Murs mitoyens », 2011) est le premier long métrage du réalisateur argentin Gustavo Taretto. Version développée du court métrage éponyme (2005), le film raconte l’aliénation et les errances parallèle de deux individus perdus dans le labyrinthe de Buenos Aires. Appuyé par une mise en scène ingénieuse et poétique, mêlant les prises de vue réelles avec des animations numériques, des graphiques et des photos, il raconte l’échec des utopies urbaines en même temps que les limites des avancées technologiques. L’architecture est la toile de fond de l’histoire : les aspects hétéroclites de la ville, les étapes successives de son urbanisation, le mal-être de ses habitants. Dans le prologue de son Eloge de l’ombre, Borges évoquait « la pratique mystérieuse de Buenos Aires ». Dans le film de Taretto, un somnambulisme généralisé paralyse la capitale du 21e siècle. Le réveil de ce sommeil passe aussi par la démystification des fantasmagories contemporaines qui l’engendrent.

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