When the Le­vee Breaks*

Editorial du numéro 16-17/2019

Publikationsdatum
29-08-2019

En 1927, le Mississippi brisa ses digues en plus de 140 endroits. L’eau qu’elles étaient censées retenir inonda une surface de 70 000 km2 et causa le déplacement forcé de 500 000 personnes. Lors de sa crue de l’an 2000, le Rhône rompit également les siennes, au hasard de leurs faiblesses. Si l’ampleur des deux catastrophes n’est pas comparable, elles démontrent néanmoins qu’une digue peut se retourner contre ceux qu’elle protège. Ce constat a fortement influencé les contours de la troisième correction du Rhône.

Lorsque je me suis rendu à Viège pour en visiter le chantier, la vague de chaleur du mois de juin dernier mettait à mal l’épais manteau neigeux accumulé en altitude durant l’hiver, gonflant le fleuve d’une eau chargée de sédiments en suspension. Si son débit était loin d’atteindre celui d’une crue centennale, il était suffisamment élevé pour rendre invisible la plupart des travaux réalisés dans son lit depuis 2009. Et c’est tout le paradoxe: la dynamique saisonnière du Rhône m’empêchait de voir le nouvel espace qui lui a été rendu afin qu’il puisse s’y déployer à son propre rythme. Seul le décalage entre les anciennes et les nouvelles digues permettait de prendre conscience de ce que sera le nouveau Rhône. Lorsque je fis part de cette observation au responsable du projet, il eut ces mots: «C’est tout le problème avec la sécurité, elle ne se voit que lorsqu’elle est défaillante.»

Si la troisième correction du Rhône ne se limite de loin pas à de nouvelles digues, elles sont néanmoins l’un des maillons sécuritaires essentiels d’un projet visant à protéger la plaine et ses habitants contre une crue centennale. À Chamoson, l’actualité récente a tragiquement montré que deux événements centennaux peuvent se succéder en un an ; quant à l’intensité de cette crue, le changement climatique à l’œuvre pourrait clairement la tirer vers le haut. Au lieu de fixer un seuil au-delà duquel un débordement tournerait à la catastrophe, les artisans de la troisième correction du Rhône ont préféré anticiper la survenue d’un tel événement en développant une stratégie afin de le confiner, au moyen de digues submersibles, là où les conséquences seront moindres. Une réflexion qui permet au Rhône de passer de la maison de correction à un régime de liberté conditionnelle.

* Chanson de blues écrite en 1929 par Kansas Joe McCoy et Memphis Minnie suite la grande crue du Mississippi de 1927 et reprise par Led Zeppelin en 1970.

Achetez le numéro

Magazine

Verwandte Beiträge