Une ré­no­va­ti­on éner­gé­tique en liè­ge ap­pa­rent

Le mandat visait l’amélioration de l’enveloppe thermique d’une villa jumelle. Celle-ci avait été bâtie en même temps que quatre autres maisons, au cours d’une opération immobilière datant des années 1970, sur les pentes de St-Légier-La Chiésaz (VD). Or, la villa présentait une enveloppe insuffisamment isolée en regard des normes actuelles. La sensibilité des clients pour les matières écologiques et naturelles a amené les architectes à opter pour le liège, et ce pour plusieurs raisons.

Le liège présente une très faible conductivité thermique, fournit un excellent confort d’été grâce au déphasage dû à la densité de la matière, possède une longue durée de vie – plus de 50 ans s’il est mis en œuvre dans les règles de l’art – et est recyclable. De plus, il est léger et imputrescible. Le renoncement à un revêtement de protection, comme couche supplémentaire en façade, compense le coût relativement élevé du matériau. Enfin, étant donné les dimensions modestes de l’intervention, le liège fournit une solution unique et cohérente face aux divers cas de figure rencontrés découlant de la géométrie.

Des plaques en liège expansé de 120 mm d’épaisseur sont appliquées grâce à un mélange de colle Hagaplast et de ciment (10 %) sur les façades, celles-ci ayant été préalablement remises d’aplomb par un lissage appliqué sur le crépi existant. Comme la nouvelle surface n’est pas parfaitement étanche à l’eau, les fenêtres sont capotées d’une serrurerie étanchée au droit des embrasures. Cette structure autoportante accueillant les caissons de stores forme un guide pour poser les plaques en liège, celles-ci étant ordonnées selon un calepinage précis. La villa, organisée sur quatre niveaux, dont trois sont habitables, possède un étage partiellement enterré. Ainsi, les plaques de liège disparaissant sous le terrain sont consolidées par des chevilles; le dispositif étant complété par une épaisseur de granulats de verre cellulaire qui isolent et drainent tout à la fois. D’autre part, les deux dalles des niveaux supérieurs qui se prolongent vers l’extérieur par un balcon, sans coupure thermique, sont conservées aux dimensions originelles. Démoli puis reconstruit, le plus grand balcon aurait perdu 20-30 cm de profondeur pour conserver les distances aux limites. Les architectes décident d’emballer les saillies en béton armé par une épaisseur de liège à ultra haute densité qui devient, sur le dessus, un revêtement de sol étanche, en lieu et place de catelles. Les parapets en béton préfabriqué du balcon inférieur sont déposés au profit d’une résille métallique transparente. Ces éléments démontés seront réutilisés sur place pour former un petit escalier, ainsi que des murets dans le jardin en pente.

Le chêne-liège

Employé dans la construction, l’aggloméré de liège expansé est un sous-produit de la bouchonnerie, activité phare développée au 19e siècle et dont l’industrie reste très vivante au Portugal. L’arbre dont il est issu est d’ailleurs protégé par une loi nationale datant de 1209, interdisant tout abattage illégal. Le chêne-liège, ou Quercus Suber de son nom latin, fournit cette belle matière naturelle.

Les jeunes pousses ont besoin de 25 ans pour croître suffisamment. Ensuite, les troncs subissent une première opération de «démasclage», durant laquelle les forestiers prélèvent sur une partie de l’arbre une écorce «mâle» crevassée. Celle-ci est broyée, puis réduite à l’état de granules, transformés ensuite pour la plupart en aggloméré. Il faut à l’arbre environ neuf ans pour qu’il reconstitue une seconde peau «mâle». C’est seulement après le troisième prélèvement que l’écorce «femelle» apparaît. Régulière, elle permet alors de découper des bouchons d’une seule pièce, tandis que les écorces de moindre qualité sont broyées en granules. Cultivé selon des procédés traditionnels, un arbre produit de 30 à 75 kg par récolte¹, avec une moyenne de 16 écorçages sur sa durée de vie. Ainsi, un arbre exploité produira en 200 ans entre 500 et 1200 kg de liège, rapportant 4 euros au kilo pour des bouchons, et 0,40 euro pour les autres débouchés².

L’aggloméré de liège expansé MD Façade a été développé spécifiquement par la société Amorim pour rester apparent. Ce produit, né il y a une vingtaine d’années, notamment sous l’impulsion des architectes Alvaro Siza et Eduardo Souto de Moura, est constitué de particules de liège étuvées à une température de 300° C. Les grains brunis et dilatés par la chaleur s’agglomèrent sous l’effet d’une résine naturellement exsudée, la subérine. Le liège ainsi reconstitué présente une apparence rugueuse, avec des irrégularités de textures et de coloris dus au caractère vivant de la matière. Relativement foncées à la pose, les plaques en aggloméré de liège s’éclaircissent après quelques semaines d’exposition.

Valeur écologique de la suberaie

Les plantations ou suberaies occupent 736 000 hectares au Portugal. Ce sont des peuplements forestiers clairs dont la densité moyenne oscille entre 80 à 120 tiges par hectare. Elles résistent aux incendies de forêt et contribuent à la protection des sols, stabilisant l’érosion et minimisant la désertification. De plus, elles préservent la biodiversité, abritant des centaines d’espèces de plantes et d’oiseaux, ainsi que des mammifères, des amphibiens et des reptiles en grand nombre. Même si les aires de répartition se concentrent dans le sud-ouest de la péninsule Ibérique, au Portugal et en Espagne, d’autres territoires sur le pourtour méditerranéen disposent également de cultures, notamment en Afrique du Nord, dans le Sud de la France et en Italie. Ainsi, les suberaies revêtent une valeur à la fois économique et environnementale. Cependant, à cause de l’exode rural, les plus petits domaines sont laissés à l’abandon. Or, sans l’action de l’homme qui les ­jardine, elles disparaissent.

L’expérimentation comme processus créatif

Les bureaux de Madeleine architectes sont installés dans une arrière-cour de la vieille ville de Vevey où l’artisanat a laissé de nombreuses marques sur le parquet usé. L’entrée au centre du bâtiment mène à l’atelier d’un menuisier-ébéniste à gauche, tandis que l’espace à droite a été réaménagé avec soin par les architectes.

Ces derniers semblent nourrir une réelle attirance pour des textures nouvelles, qui les poussent à expérimenter la matière et sa mise en œuvre. Si les architectes s’impliquent durant la phase de réalisation, n’hésitant pas à œuvrer personnellement ça et là, c’est qu’ils aiment apprendre du chantier, nous disent-ils. Après St-Légier, ils pilotent une seconde rénovation en liège, réalisée celle-ci en autoconstruction. Pour gommer les inévitables irrégularités de pose et composer avec l’architecture existante, ils ont décidé de noircir préalablement les panneaux en les brûlant au chalumeau.

1. Stéphanie Bonnet, «Le chêne-liège, un arbre généreux», The forest time, 2011
2. Carla Amaro, «Portugal. Le chêne-liège, outil de développement durable», Courrier International, 2010

Rénovation énergétique d’une villa jumelle, St-Légier-La Chiésaz

Maître d’ouvrage: Privé

Architecte: Madeleine Sàrl, Vevey

Entreprise de charpente: L’atelier de Jean, Démoret

Fourniture de liège: Amorim Cork Insulation, Mozelos (P)

Représentant local: Meige matériaux Sàrl, Pompaples