Fa­vo­ri­ser les cir­cuits courts: la lai­ne de mou­ton

Plus de la moitié des 350 000 moutons présents en Suisse estivent sur les alpages pour y maintenir et entretenir les paysages pastoraux. En 2017, la Confédération a d’ailleurs versé 24 millions de francs aux éleveurs pour la mise à l’alpage, l’estivage, le bien-être animal et un semblant de protection contre les loups. Et ce, sans savoir vraiment que faire de leur laine, alors qu’elle possède des qualités qui intéressent le monde de la construction.

Publikationsdatum
22-10-2021

Le mouton est un animal familier. Élevé en troupeaux, il broute et désherbe sans bruit ni odeur (ou presque) des terrains plats, pentus, voire très pentus et difficilement accessibles, comme c’est le cas en haute montagne. Le mouton jardine 10 % de prairies sèches d’importance nationale, sans altérer le sol par son piétinement. Le pacage de mouton, s’il est surveillé et déplacé, serait plus favorable à la biodiversité que la mise en jachère de pâturages, ce laisser-faire périodique qui favorise la présence de graminées concurrentielles ou la repousse d’arbustes, mettant en péril les quelques plantes rares et protégées qui y ont élu domicile.

Une toison jetée aux orties

En Suisse, le mouton est d’abord élevé pour sa viande, même si le lait de brebis tend à gagner des parts de marché depuis quelques années. L’animal est débarrassé de sa laine lors de séances de tonte exercées une à deux fois par année par des professionnels. Chaque animal génère annuellement de 3 à 5 kg de laine brute. Sa qualité, évaluée en fonction de deux principaux facteurs, le diamètre et la finesse de la fibre, est propre à chaque espèce et varie selon l’environnement dans lequel ce mammifère évolue. Pour la laine indigène, les débouchés étaient bien réels jusqu’à la fin des années 1960, quand l’armée en offrait encore 8 francs par kilo pour fabriquer ses fameuses couvertures, piquantes mais ultra chaudes. Le jeu de la concurrence internationale n’a cependant laissé aucune chance aux producteurs suisses. Aujourd’hui, les trois quarts de la production de laine sont détenus par quatre pays, l’Australie, la Chine, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, qui possèdent un grand nombre de Mérinos aux qualités de fibres supérieures, et dont la production intensive entraîne d’ailleurs quelques désastres environnementaux. En 2004, un coup de massue s’abat sur la tête des éleveurs suisses avec l’abandon des subventions fédérales pour récolter la laine, laissant sur le carreau 900 tonnes de matière brute. Celle-ci est désormais assimilée à des déchets, coûtant aux producteurs le prix de leur incinération. Comment la Confédération justifie-t-elle les montants faramineux encourageant la pâture des moutons, tout en jetant aux orties leur toison d’or? Heureusement, dès 2009, quelque 600 000 francs sont débloqués par ordonnance fédérale sous forme d’allocation à des projets novateurs afin d’ouvrir de nouveaux marchés.

Un isolant comme nouveau marché

Deux entreprises se sont lancées dans la production de laine à destination de la construction: Fiwo, un organisme subventionné à but non lucratif créé en 2005 en Thurgovie, et Fisolan, une entreprise privée installée dans la campagne bernoise depuis 2012. Leur idée est d’offrir une place à ce matériau de première qualité. Ils s’attaquent à un marché où les matériaux anorganiques, tels que la laine de verre et la laine minérale, ainsi que les isolants synthétiques organiques à l’image du l’EPS, du XPS et du PUR, représentent plus de 90 % des isolants employés. Leur produit phare est un panneau isolant difficilement combustible qui s’applique aux constructions neuves ou aux rénovations. Les panneaux de laine, bons isolants thermiques et acoustiques, ont pour avantage d’être souples et faciles à manipuler : leur mise en œuvre ne nécessite aucune protection particulière, ni masques, ni gants. Bien plus, elle aurait une action purificatrice sur l’air ambiant et sur la santé de ses occupants, puisqu’elle absorbe le formaldéhyde émis par les colles et les vernis utilisés dans l’aménagement intérieur. Enfin, la laine a un effet hygrothermique (elle absorbe jusqu’à un tiers de son poids en eau, sans perdre son pouvoir isolant) qui contribue à la qualité du climat intérieur. Seul bémol, elle est sensible aux mites et doit être traitée en conséquence.

Circuits courts pour un habitat haut-valaisan

À Brigue (VS), l’ordre des Ursulines, qui avait amassé des réserves financières en vendant ses écoles, souhaitait offrir un toit à une dizaine de ménages en proposant des logements abordables. Après avoir remporté le concours organisé par la congrégation des sœurs, les architectes du bureau Walliser ont développé une maison de cinq niveaux à l’architecture contemporaine, inspirée de la tradition constructive alpine. Des matériaux nobles s’exprimant sans faux-semblants y sont assemblés en toute simplicité, cherchant à s’inscrire dans le temps long de constructions centenaires. Les architectes ont favorisé des ressources proches pour trouver les matières premières. Combinant béton issu de granulats du Rhône et mélèze indigène, et adoptant une posture engagée, ils ont utilisé 12 tonnes de laine de mouton collectée auprès d’éleveurs valaisans pour combler les parois extérieures de 220 mm d’isolants et la toiture à chevrons de 300 mm. Leur partenaire commercial, Fisolan, a recueilli la matière précieuse durant deux ans en privilégiant les circuits courts. La maison communautaire, achevée en 2019, apparaît aujourd’hui comme un ouvrage solidement ancré à sa terre. L’œil glisse du paysage naturel au paysage bâti, sans sourciller.

La laine de mouton, vraiment écologique?

La laine de mouton est un matériau de proximité, naturel et renouvelable ; des qualités suffisamment rares pour être mises en valeur. Les chiffres concernant son énergie grise sont d’ailleurs bons, avec un recours en énergie primaire de 50 kWh/m3 (fibres de lin : 30 kWh/m3, polystyrène expansé : 450 kWh/m3). Ainsi, les deux productions suisses d’isolants qui reçoivent le label Eco-bau sont adaptées aux exigences Minergie ECO. Cependant, le bilan carbone de la laine de mouton, s’il est pensé comme une finalité en soi justifiant l’élevage de troupeaux, se révèlerait beaucoup trop élevé pour être une solution réaliste. En effet, nourrir un animal à quatre pattes, qui émet du méthane, dans l’objectif de produire 3 à 5 kg de laine brute par année devient un non-sens. Le marché des isolants à base de laine de mouton restera donc probablement un marché de niche, qui existera aussi longtemps que la laine d’ici ne trouvera pas de meilleure alternative.

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