Big bang dans la formation du bâti
Grâce à l’analyse des données issues de notre plateforme education.espazium.ch consacrée à l’éducation dans le domaine de la culture du bâti, nous avons brossé un portrait inédit de l’état de l’offre de formations en Suisse. Un premier bilan nous permet de constater la prépondérance d’une série de programmes d’étude à mi-chemin entre pratique et pédagogie: les formations continues.
À l’instar d’autres secteurs, l’offre de formations attachées à la culture du bâti1 se multiplie. Les hautes écoles universitaires et spécialisées proposent une pléthore de cours innovants et pointus, multipliant l’orientation des futur·es étudiant·es et des professionnel·les désireux·reuses de se spécialiser dans un environnement hautement compétitif et concurrentiel.
Pour comprendre cette métamorphose et lui conférer une vision globale, espazium.ch a entrepris d’inventorier tous les établissements d’enseignement suisses liés au domaine et de recenser leurs programmes d’étude. Une démarche qui a abouti à la conception du site education.espazium.ch : un lieu de rencontre entre les écoles et les personnes cherchant à compléter de la manière la plus adéquate possible leur parcours. Avec plus de 300 propositions référencées lors de son lancement en novembre dernier, tous diplômes confondus, education.espazium.ch se présente comme une « boussole » numérique permettant de naviguer librement à travers cette constellation d’offres d’étude.
Ce travail d’analyse et de représentation des données extraites de la plateforme nous a permis de dresser un inventaire inédit de l’état de l’offre des formations en Suisse et de confirmer une première hypothèse : parmi toutes les offres recensées sur la plateforme education.espazium.ch, plus de 200 – soit deux tiers – correspondent à des formations continues, ou formations postgrade, du type CAS, DAS ou MAS2. Élément clé sur le marché du système éducatif suisse, ces programmes à durée déterminée sont actuellement proposés par 26 institutions académiques recensées à la date de lancement de la plateforme, réparties dans 15 domaines d’études et instruits en quatre langues.
Se spécialiser pour évoluer dans un environnement en transition
Pour les praticien·nes ou jeunes diplômé·es, ces programmes sont un investissement stratégique. Ils leur permettent de perfectionner ou de réorienter leurs compétences et d’entrevoir de nouvelles opportunités professionnelles dans l’une des nombreuses disciplines du bâti.
Pour les centres d’enseignement, ces formations sont un moyen efficace de proposer des sujets d’étude innovants qui peuvent difficilement être adaptés dans les formations de base du type Bachelor (BA) ou Master (MA). Les conditions administratives et temporelles sous-jacentes à la modification d’un plan d’étude ne sont pas aussi flexibles. Ainsi, ces programmes s’adaptent rapidement et de façon plus souple à l’évolution des pratiques. Grâce à leurs prix souvent élevés, ils contribuent activement au financement de ces institutions, en particulier des hautes écoles spécialisées (HES), dont le fonctionnement dépend en partie de cette ressource financière. Probablement, pour les HES, les formations continues s’inscrivent dans la suite de leur orientation pédagogique, historiquement plus professionnalisante et pratique que les EPF. Les infographies ci-contre confirment ces constats et exposent davantage leurs différences. Entre autres singularités, nous observons que presque 50 % des formations continues en Suisse sont offertes par les seules Haute École de Lucerne (HSLU), la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) et la Haute école spécialisée bernoise (BFH).
En complément des études généralistes proposées par les Bachelors et les Masters, ces cours répondent également à une demande forte du marché de l’emploi, qui exige de plus en plus d’expert·es aptes à développer des compétences concrètes et novatrices. Pour répondre à cette nouvelle réalité, les professionnel·les sont incité·es à s’instruire dans un contexte helvétique, plurilingue et fédéral, qui présente des disparités territoriales, linguistiques et économiques importantes. Avec la naissance d’education.espazium.ch, nous suivrons de près cette évolution ainsi que celle des savoirs, des pratiques et des tendances liées à l’éducation en matière de culture du bâti.
En lien: education.espazium.ch: nouvelle maison numérique pour la formation du bâti
Prochaine étape : présenter les résultats des formations continues
Les résultats des formations de base, ateliers ou cours théoriques, tout comme ceux des programmes doctoraux, sont souvent divulgués par leurs auteur·ices ou promus par les propres centres d’enseignement et de recherche. Mais qu’en est-il des formations postgrade ? Quels en sont ses résultats ? À ce jour, malgré des méthodes et des objectifs bien moins exigeants que ceux d’un doctorat, rares sont les occasions de consulter les mémoires rédigés en fin de parcours.
Ces programmes sont pourtant un terrain idéal pour expérimenter de nouvelles idées à la croisée entre pratique et recherche. En quelques mois d’étude, les participant·es peuvent s’épanouir à proximité de la pratique professionnelle qu’ils ou elles exercent au quotidien et participer avec leur expérience du métier, et leur envie d’apprendre, aux débats sur les défis actuels du secteur. Et ils sont énormes. Ce contexte d’étude, avec l’appui d’expert·es clés, permet à ces formations de réunir tous les atouts pour aboutir à des propositions et des synthèses de qualité. C’est du moins la nouvelle hypothèse que nous évaluerons ces prochains mois en mettant l’accent sur les mémoires et les exposés issus des programmes les plus originaux et innovants du panorama suisse.3
Ce qui est certain, c’est que ce « big bang » des formations du bâti et les synergies qui émanent de ces aller-retours entre milieux professionnels et académiques bénéficient tant aux individus qu’aux entreprises. À coup sûr, le développement de ce type de formations est un facteur crucial qui permettra d’adapter les savoir-faire de la culture du bâti aux incertitudes sociales et économiques actuelles. D’autant plus que ce courant post-académique qui a le vent en poupe est une opportunité de souligner que, pour la branche du bâti, tous les enseignements sont une forme de pratique – et toutes les pratiques sont, ou devraient être, un enseignement continu.
Valérie Bovay est graphiste et directrice artistique TRACÉS. Elle a réalisé les visualisations illustrant cet article dans le cadre du Certificate of Advanced Studies BFH in Data Visualization.
Yony Santos est architecte, responsable de la plateforme Education.
Cedric van der Poel est codirecteur espazium.ch.
Notes
1. Pour le recensement des formations dans le domaine de la culture du bâti, espazium.ch s’est appuyé sur la définition de la Déclaration de Davos, signée en 2018 par la Conférence des Ministres européen·nes de la culture : « La culture du bâti comprend la somme de toutes les activités humaines qui transforment l’environnement bâti. Son ensemble doit être envisagé comme un tout indissociable qui englobe l’intégralité du bâti existant et des aménagements qui sont ancrés dans l’environnement naturel et qui lui sont liés. La culture du bâti comprend le bâti existant, lequel inclut les monuments et d’autres éléments du patrimoine culturel, la création contemporaine, les infrastructures, l’espace public ainsi que les paysages. » (Déclaration de Davos, 2018, p. 4, davosdeclaration2018.ch)
2. CAS – Certificate of Advanced Studies, min. 10 ECTS ; DAS – Diploma of Advanced Studies, min. 30 ECTS ; MAS – Master of Advanced Studies, min. 60 ECTS. Source : swissuniversities
3. Curieux de connaître les résultats des formations continues et d’en accroître la visibilité, à l’automne prochain, nous présenterons sur notre plateforme une sélection des projets, recherches, mémoires et démarches élaborées, individuellement ou collectivement, pour obtenir le diplôme d’une formation postgrade. Un appel à contribution sera publié tout prochainement sur notre site aux nombreux centres et institutions concernées.