con­ser­va­tion de l’exis­tant ver­sus luxe éner­gé­tique

À Bâle, le cabinet Luca Selva Architekten a transformé une ancienne imprimerie en neuf appartements. La conservation du caractère du bâtiment dans sa nouvelle affectation est un effort qui magnifie les espaces, mais qui soulève aussi bien des questions.

Date de publication
16-12-2024
Isabel Borner
Rédactrice environnement/énergie et architecture - Espazium AG

Il bruine en ce vendredi de la mi-juin. Devant la façade métallique en verre de l’ancienne société Kreis Druck AG, on aurait presque l’illusion de voir sortir des palettes de journaux fraîchement imprimés. Mais l’encre a séché depuis longtemps, car l’imprimerie a fermé ses portes en 2017 pour cause de restructuration, privant la Holbeinstrasse, dans le quartier bâlois de Paulus, du cliquetis des rotatives. Le bâtiment, conçu pour accueillir de lourdes machines, a subsisté et cherchait une nouvelle affectation.

Insérer habilement le nouveau dans l’ancien

Luca Selva le précise clairement dès le début: «Notre ligne directrice consistait à conserver les qualités de l’existant et la dignité du bâtiment, et à valoriser son caractère industriel.» C’est ainsi que la façade donnant sur rue a été remise dans un état aussi fidèle que possible à l’original: à première vue, rien ne semble avoir changé, mais un examen plus attentif laisse entrevoir une nouvelle couche isolée derrière l’ancienne façade. Des loggias ont été créées dans la zone intermédiaire, offrant un espace extérieur couvert par tous les temps.

Le bâtiment mesure 15 m de large sur la rue et occupe presque toute la parcelle avec ses 63 m de long. Il se compose d’une aile de trois étages avec attique sur rue, d’une aile centrale de deux étages ainsi que du secteur où se trouvaient les rotatives, surmonté d’une toiture en sheds. La chaudière au mazout a été remplacée par le réseau à distance et l’ancien dépôt souterrain transformé en parking.

Le cabinet Luca Selva Architekten a fait preuve d’un grand sens de la mesure pour s’adapter à l’existant: au rez-de-chaussée de l’aile rue, les faux plafonds ont été retirés et les poutres d’origine mises à nu; dans les étages supérieurs, l’équipe est parvenue à conserver la visibilité des dalles champignons en surélevant d’une marche le sol de tous les appartements de cette aile. Toutes les installations disparaissent sous le nouveau plancher en chêne brut de sciage et les plafonds sont libérés. En respectant ses dimensions, il n’a pas été nécessaire de modifier grand-chose dans la cage d’escalier. Une petite rampe permet d’éviter les obstacles et de surmonter la différence de niveau entre la rue et le foyer.

Véronique Caviezel, responsable du projet, estime qu’il était important de conserver l’âme de la maison. Cela se manifeste aussi bien à la grande qu’à la petite échelle: le sol en terrazzo du foyer a été conservé et la rampe recouverte des dalles de pierre provenant de la déconstruction de l’entrée de l’imprimerie. Partout où des surfaces supplémentaires ont été ajoutées, les carreaux ont été reproduits. Outre le foyer et la cage d’escalier avec ascenseur, l’aile centrale abrite un appartement de cinq pièces, qui se trouvait toutefois entre les murs coupe-feu et les autres parties du bâtiment et qui possède donc des lucarnes, mais pas de fenêtre donnant directement sur l’extérieur à hauteur des yeux. Enfin, les plafonds à nervures de l’aile centrale, une aubaine pour les architectes, encore coffrés et en état, ont ainsi pu être laissés visibles.

Quelle est la quantité d’espace appropriée?

La troisième partie du bâtiment, l’ancienne halle de production, se caractérise par une grande luminosité et par son -immense hauteur sous plafond de 6.8m, créée à certains endroits par les quatre toitures à redans partiels. Deux appartements de 3.5 pièces et de 7 m de large s’étendent ici sur une longueur de 39m. Un nouveau patio dans l’appartement et un accès au jardinet devant le mur coupe-feu servent d’espaces extérieurs sans vue lointaine.

La surface habitable est grande, mais les murs coupe-feu, qui n’autorisent que des fenêtres vers le haut, sont contraignants. Ni le maître d’ouvrage ni les architectes ne voulaient démonter les sheds pour gagner en vue et en jardin. D’une part, les architectes voulaient conserver les volumes existants dans la nouvelle affectation. D’autre part une démolition partielle aurait nécessité un coefficient d’espace libre plus élevé et une surface brute de plancher plus petite.

Dans la zone des sheds, d’énormes appartements ont été construits pour relativement peu de personnes, et leur immense volume devra être chauffé pendant des années avec une consommation largement supérieure à l’énergie grise économisée grâce à leur conservation.

Si les sheds, qui couvrent une surface de 585 m2 avaient été démolis, il aurait été possible de créer une surface végétalisée qui aurait fourni un espace extérieur, de la biodiversité et un rafraîchissement. En lieu et place, deux appartements ont été réalisés avec une surface de référence énergétique qui serait appropriée pour 20 personnes. En outre, les sheds orientés sud-est et les autres toitures n’ont pas été recouverts de panneaux photovoltaïques. Selon les informations fournies par les architectes, le maître d’ouvrage s’y est opposé en raison de l’ombre portée par le corps de bâtiment côté rue, de la statique déjà exploitée et du manque de rentabilité.

Ces deux choix sont critiques d’un point de vue énergétique et social. L’argument de la préservation de la beauté spatiale des sheds est un peu élitiste, car celle-ci ne profite qu’à un petit nombre de personnes.

Dans l’aile sur la rue et l’aile centrale, les architectes se sont lancés dans une enquête digne d’un grand détective et ont réussi à insérer la nouvelle affectation dans l’ancien bâtiment avec un souci du détail et une grande habileté artisanale. Mais le gros bémol du projet est la consommation élevée d’énergie qui sera générée dans la zone des sheds pendant des années.

Transformation kreisdruck, Bâle

 

Maître d’ouvrage: Kreis Immobilien, Bâle

 

Architecture: Luca Selva Architekten, Bâle

 

Structure porteuse: Ehrsam Beurret Partner, Bâle

Planification CVSE: Böni Gebäudetechnik, Oberentfelden

 

Physique du bâtiment: brücker+ernst, Lucerne

 

Transformation: 2018-2020

Avec le soutien de SuisseEnergie et de Wüest Partner, les numéros spéciaux suivants ont été publiés par espazium - les éditions pour la culture du bâti:

 

1/2018 «Immobilier et énergie: stratégies pour l'immobilier – orientation pour les investisseurs institutionnels».

 

2/2019 «Immobilier et énergie: stratégies de mise en réseau».

 

3/2020 «Immobilier et énergie: stratégies de la transformation».

 

4/2021 «Immobilier et énergie: sur des routes communes avec l'électromobilité».

 

5/2022 «Immobilier et énergie: stratégies d'autoconsommation».

 

6/2022 «Immobilier et énergie: reconnaître la valeur de l’existant».

 

7/2022 «Immobilier et énergie: Métamorphose: de bureaux à appartements».

Tous les articles de ces numéros spéciaux peuvent être consultés dans notre dossier numérique «Immobilier et énergie».

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