L’art ré­cu­péré par l’ur­ba­nisme

Comment le monde de l’urbanisme, pour intégrer les critiques qui lui étaient faites et justifier son action, a intégré dans son champ les outils, les méthodes et jusqu’aux acteurs du monde de l’art.

Date de publication
17-05-2022

De Barcelone à Toronto, de Paris à Genève, les espaces publics se sont progressivement couverts de petites architectures en palettes, de bacs à cultures et d’arbres en pots. Les places sont devenues le support d’événements festifs, les friches ont été investies par des programmes socio-culturels. En l’espace d’une vingtaine d’années, l’urbanisme qu’on appelle transitoire, tactique ou éphémère s’est imposé comme une autre manière de faire la ville – revendiquée plus souple, plus réactive, plus à l’écoute des habitants –, à côté des mécanismes traditionnels de production de l’espace urbain.

Pour comprendre les origines et les ressorts de ces nouvelles formes d’urbanisme, Thierry Maeder, géographe, docteur en aménagement et urbanisme et chercheur associé à l’Université de Genève, a mené l’enquête1. À partir de douze études de cas dans l’agglomération genevoise et d’une lecture croisée de l’histoire de la critique, en art et en urbanisme, il montre comment l’urbanisme s’est progressivement approprié les modes de faire de l’action culturelle et artistique et l’esprit subversif de la contre-culture – luttes urbaines des années 1960/70, mouvements squats et courants artistiques alternatifs – pour en faire des outils normalisés de son action.

Le monde de l’urbanisme aurait ainsi cherché à répondre aux critiques qui lui étaient faites: «À la critique de l’expertise et de la mise à distance de l’habitant, l’urbanisme a répondu par la participation. À la critique de la légitimité, il a répondu par la narrativité et la mise en scène festive de son action. À la critique de la monotonie et de la morosité du modernisme, il a répondu par le recours à un discours sur l’authenticité et l’esprit du lieu, et par l’événementialisation des centres-villes.» Pour renouveler ses pratiques, il a emprunté à d’autres champs disciplinaires, ouvrant de nouvelles niches professionnelles autour de la concertation, de la communication et de l’animation socio-culturelle, dans lesquelles se sont engouffrés des artistes en quête de nouveaux débouchés.

Pour Maeder, ce recours aux moyens de l’art n’est pas exempt d’ambiguïtés et peut montrer ses limites. À travers les cas étudiés, il questionne les motivations des villes qui peuvent voir dans ces nouveaux outils ludiques, festifs et participatifs, une manière de ne pas aborder frontalement les sujets qui fâchent (densification, limitation de la voiture en ville, etc.) et de désamorcer les oppositions en offrant aux citoyens des espaces d’expression.

Un ouvrage critique qui tombe à point nommé pour saisir dans sa complexité un phénomène qui reflète une mutation profonde de l’urbanisme.

Terrain critique, des nouveaux usages de l’art en urbanisme, Thierry Maeder, Metispresses, 2022

Note

 

1 Cet ouvrage est issu d’une thèse soutenue en 2020, sous la direction de Luca Pattaroni et Laurent Matthey.

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