Les îles, des modèles inspirants pour le projet
Faire d’une île un territoire de projet. La dernière livraison des Carnets du paysage, unique publication francophone entièrement consacrée au paysage, tente une approche multiple, avec plusieurs contributions aptes à nourrir les pratiques « continentales » de paysage et d’aménagement du territoire.
Connaissez-vous l’«outil-île»? Issu de la biogéographie des îles, cette approche a fait – et fait encore – fortune dans la conception des paysages urbains. Élaborée au début des années 1960, cette théorie se fonde sur les différentes typologies d’îles pour en évaluer la richesse écologique : en gros, plus un territoire est petit et fragmenté, plus il est pauvre en biodiversité ; à l’inverse, plus il est grand et cohérent, plus il est riche en habitats (dessin ci-contre). La mise en réseau des fragments, si possible jusqu’au continent, est à la base de la notion d’infrastructure écologique. En milieu urbain, cela se traduit par la nécessaire connexion des «îles» d’habitats que sont les parcs et les jardins, mais aussi les alignements d’arbres et les morceaux de pleine terre, et même des plantes de balcons et autres toitures végétalisées, refuges utiles à toutes sortes d’espèces. De tels archipels sont rendus plus forts s’ils sont à leur tour raccordés à ces habitats plus vastes que sont les campagnes. Selon l’écologue Philippe Clergeau qui signe un article sur le sujet, les concepts de trames vertes et bleues ou de pénétrantes de verdure sont donc, à l’échelle d’une agglomération, directement issus de cette théorie de la biogéographie des îles.
Sentiers liquides
Il est aussi question, dans ce 35e numéro des Carnets, de paysages fragiles ou en voie de disparition, mais toujours présentés sous l’angle du projet, voire du modèle. C’est le cas des îles-refuges du delta du Paranà en Argentine. Loin de l’absurdité des digues et des murs qui cernent des hectares asséchés de villas individuelles gagnées sur le fleuve dans la périphérie directe de Buenos Aires, le delta du Tigre, vers l’intérieur des terres, déploie ses bras d’eau douce comme autant de sentiers liquides. Les habitants vivent en harmonie avec le milieu, sans le contraindre, naviguant d’un lieu à l’autre. À l’île d’Aix, au large de La Rochelle en France, c’est la pression des quelque 250 000 touristes qui débarquent chaque été sur ses terres qui menace les milieux. Le paysagiste Gilles Clément y travaille. Il invite à considérer ces territoires insulaires dans leur totalité, terrestre et maritime, en appelle à l’autonomie énergétique par l’installation d’hydroliennes exploitant les courants marins de faible impact sur le paysage, et à une pédagogie active envers les visiteurs quant aux richesses botaniques du site…
Ni à l’écart du monde, ni désertes comme on aime tellement les imaginer, les îles «ont connu au contraire une longue histoire, globale, de domination et d’exploitation», écrit Jean-Marc Besse dans l’éditorial. La lecture de ce recueil laisse aussi penser que chacune d’elles semble pouvoir fournir des modèles inspirants. À l’image du jardin créole: selon Bertrand Folléa, qui y a développé un projet paysager, il «exprime bien plus qu’un cadre de vie: un mode de vie et un rapport au monde».
Îles en projet
Les Carnets du paysage no 35,
Éditions Actes Sud, Arles, 2019