Les li­mites de la den­si­fi­ca­tion. Le cas des ate­liers Vau­gi­rard à Pa­ris

La densification parisienne ne connaît pas de frein. Christophe Catsaros a visité l’immeuble Vaugirard réalisé par l’agence bâloise Christ & Gantenbein. Fondée sur une patiente étude des typologies métropolitaines, l’opération questionne indéniablement les limites de l’exercice.

Date de publication
22-02-2024

Le projet, complexe en raison de la nécessité de maintenir une activité industrielle sur place, comprend plusieurs lots de logements, sur la base d’un masterplan conçu par Dominique Lyon, disposés de part et d'autre d'une nouvelle rue qui traverse le site, occupé par des ateliers de maintenance de la RATP. Les sheds de maintenance ont progressivement laissé place à des bâtiments composés d'ateliers, sur lesquelles vient se superposer la fonction de l’habitat. Le bâtiment conçu par Christ & Gantenbein s'inscrit précisément dans la continuité de ce scénario: il ajoute cinq étages de logements locatifs sociaux au-dessus des ateliers, qui occupent l'intégralité du rez-de-chaussée, sur deux étages. L'ensemble est positionné au-dessus de deux niveaux de parking souterrain.

La structure est en béton, afin de gérer plus facilement la désolidarisation indispensable entre les parties atelier et les logements du bâtiment. Les façades sont réalisées en panneaux préfabriqués en bois recouverts d’un bardage en acier galvanisé. Afin d’atteindre l’objectif de rendement fixé par le maître d’ouvrage, il n’y a pas de jardin en pleine terre, la partie non bâtie de la parcelle étant occupée par les voies d’acheminement des rames aux ateliers. Les résidents peuvent néanmoins profiter d’une toiture végétalisée en cœur d’îlot et de l’espace privé extérieur dont dispose chaque appartement.

Typologies parisiennes

La particularité de ce projet réside dans la qualité des typologies proposées et dans la manière dont Christ & Gantenbein se sont appuyés sur leur longue étude de l'habitat collectif anonyme du 20e siècle, élaborée pendant un enseignement à l'ETH Zurich1.

Ce travail théorique, qui ne s'est pas limité à Paris, a permis d'identifier la grande diversité typologique dans les contextes de forte densité, dans les premiers immeubles sociaux. Ce qui ressort, et qui fait la valeur de cette période, se retrouve dans un grand souci d'intégration et une volonté d'assurer la dimension urbaine des nouveaux quartiers, tout en augmentant la densité. Les années suivantes montreront que cette volonté d'urbanité a été quelque peu négligée lors des grands projets de reconstruction des années 1950 et 1960, pour ressurgir à la fin des années 1960.

Le bâtiment réalisé sur les ateliers Vaugirard se veut la matérialisation de cette étude, qui consiste à extraire l'intelligence de certains de ces plans pour en transposer les caractéristiques dans des projets de logements contemporains. Derrière l'apparente uniformité du bardage aux couleurs du zinc parisien, l'immeuble recèle une grande richesse typologique. La double flexion aux deux extrémités du parallélépipède de 124 mètres et la volonté d'un agencement plus combinatoire que répétitif, offrent une certaine variété dans les volumes d'appartements proposés. Allant du 5 pièces au studio, ils profitent tous de plusieurs orientations grâce aux redents et plusieurs sont même traversants. Tous sont dotés d'un généreux espace extérieur proportionnel à la taille de l’appartement: une loggia, un balcon sur la cour ou une terrasse au 5e étage.

La conception s'inspire des formes parisiennes traditionnelles et leurs dispositifs, notamment des micro-balcons qui sont souvent proposés aux habitants des étages supérieurs. Le parti pris architectural de ce projet serait d'appliquer ce traitement observé en toiture aux cinq niveaux au-dessus des ateliers. Le choix de recouvrir l'ensemble du bâtiment d'un bardage évoquant le gris des toits parisiens va dans ce sens. Le projet parvient ainsi à offrir plus que le standard du logement social parisien, malgré son contexte exigu et la forte densité que lui impose le programme.

Contextualisation

Si l'intégration du bâtiment dans son contexte industriel est plutôt réussie, avec une grande cohérence entre les tonalités du bâtiment, sa forme et les voies ferroviaires qui le traversent, c'est la composition de l'ensemble qui laisse à désirer. La confrontation entre le bâtiment de Christ & Gantenbein et le lot A qui lui fait face est symptomatique de l'éclectisme quasi obsessionnel imposé à des aménagements de grande envergure comme celui-ci. Là, le choix d'un revêtement en imitation pierre, avec des références explicites aux blocs textiles de la maison Ennis de Franck Lloyd Wright, n'a aucun rapport avec son environnement. Lorsque l'on apprend que ce bâtiment abrite la partie du programme destinée à la vente, les choses s'éclaircissent. Face à la sobriété et à la finesse d'un programme social qualitatif, il fallait déployer du clinquant et du prestigieux pour satisfaire l’appétit de privilèges des futurs acquéreurs. Ce jeu de distinction se fait au détriment de toute cohésion, voire du moindre dialogue. À Paris, l’habitat des riches et celui des moins riches se juxtaposent mais ne se parlent pas.

Un jardin Potemkine sur la toiture

L'autre point de dysfonctionnement du projet est le soi-disant jardin potager sur le toit. Celui-ci aurait été imposé par le maître d'ouvrage en cours de route, probablement pour cocher la case environnementale et afficher une préoccupation sociale et écologique dans son bilan. Mais l'espace est tellement impraticable que l’on se demande comment il a pu être aménagé. La faute à la tuyauterie du système de ventilation passive, qui court anarchiquement entre les bacs de jardinage; la coexistence des tuyaux et des bacs de terre rappelle la dystopie de gaines et de tuyaux dans le film Brazil de Gilliam. Il est évident que personne ne jardinera jamais dans ces bacs, tant l'accès est compliqué, voire périlleux à certains égards. La RATP peut toutefois se targuer d'offrir des toits verts, raflant au passage quelques labels et les subventions qui vont avec.

La réalisation de Christ & Gantenbein est un bel exemple de ce qui peut arriver à la connaissance théorique, aussi pertinente soit-elle, lorsqu’elle est confrontée aux enjeux de la mise en œuvre. Elle doit s'accommoder d’obstacles et de positions concurrentes qui n'ont pas fait l’objet du même travail d’élaboration.

Il en résulte néanmoins un projet qualitatif, qui permet – chose rare – de préserver une activité industrielle dans l'hypercentre de Paris. L’immeuble combine le langage industriel du site avec la matérialité urbaine parisienne, malgré les incongruités hors-sols de son voisinage, et l'écoblanchiment programmatique du maître d'ouvrage.

Christophe Catsaros est critique indépendant et responsable des éditions d'arc en rêve. Il a été rédacteur en chef de Tracés de 2011 à 2018.

Note

1. Typology: Paris, Delhi, São Paulo, Athens, édité par Emanuel Christ, Christoph Gantenbein, Victoria Easton, Cloé Gattigo, Zurich, Park Books, 2015

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