Une le­çon con­nue de tous

Le voyage de Tadashi Ono

Tadashi Ono a parcouru pour Tracés en novembre 2011 la zone dévastée de la côte nord-est du Japon. Les images qu’il y a réalisées viennent nous montrer ce que l’on sait déjà : la force du tsunami a rasé des villes, transformant des quartiers densément peuplés en terrains vagues. Ce qui s’est produit le 11 mars 2011 défie l’entendement. Non par la taille de la catastrophe qu’on ne peut réellement quantifier, mais surtout pour la clarté du message qu’elle a transmis aux quatre coins de la planète.

Date de publication
22-03-2012
Revision
01-09-2015

Le tremblement de terre, de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, a déclenché un raz-de-marée ayant atteint jusqu’à quarante mètres de hauteur. Le système d’alerte et l’application stricte des consignes de sécurité n’ont cependant pas empêché la perte de 20 000 personnes. Dans certains cas, la vague aura entièrement recouvert des refuges en hauteurs pourtant prévus à cet effet. 
Avec le retrait de l’eau, une quantité inimaginable de débris est partie dans l’océan. La catastrophe naturelle fut suivie d’une catastrophe écologique : la destruction de plusieurs réacteurs de la centrale de Fukushima suite à la mise hors-service de son système de refroidissement. Comme l’a parfaitement souligné le premier ministre alors en fonction, Naoto Kan, le Japon a dû faire face à la pire crise depuis la défaite de la Seconde Guerre mondiale. La raison de sa gravité n’est pas tant son bilan ni son degré de destruction, que l’enchaînement des catastrophes qui s’en est suivi. Pendant plusieurs semaines, le monde entier observait une des premières puissances technologiques échouer à reprendre la situation en main.
Si aujourd’hui la situation paraît stabilisée, les conséquences de l’accident ne seront sans doute pas réparées pendant plusieurs décennies. La contamination nucléaire n’affecte pas seulement la production de toute la région nord-est, elle retarde également les efforts de reconstruction, et notamment le déblayage. Les déchets de la région de Fukushima sont considérés radioactifs et difficiles à traiter.
Ce n’est que récemment que la municipalité de Tokyo a accepté d’accueillir des débris contaminés dans ses incinérateurs, à hauteur de 20 %. Quant aux 20 à 30 millions de tonnes parties dans l’océan, les Etats-Unis s’attendent à les voir débarquer sur leurs côtes en 2013. La question de la nocivité de ces débris inquiète les Américains : le sujet aura été l’un des plus consultés sur Google en février dernier.
De toutes les catastrophes majeures de ce début de 21e siècle, aucune ne fait sens comme celle qui a frappé le Japon il y a un an. L’enseignement qui en ressort fait pratiquement l’unanimité, tant chez les détracteurs du nucléaire que chez ses partisans. Le message a été tellement clair que plusieurs pays, dont la Suisse, ont remis en question leur politique nucléaire.
Fukushima a montré que les risques de cette industrie ne se limitent pas à l’incompétence ou au vieillissement des infrastructures. Jusqu’à présent, Tchernobyl, accident d’une puissance en déclin, ne pouvait se produire dans les sociétés à la pointe de la technologie.
Si une culture industrielle exemplaire, réputée pour son organisation et sa recherche, n’a pas su se prémunir de la succession des défaillances qui ont frappé la centrale, personne n’est à l’abri. 
Fukushima a montré que le piège du nucléaire consiste en son caractère irréversible. Un incident sans gravité dé-clenche une chaîne d’incidents aux conséquences insurmontables. Un arrêt du système de refroidissement a causé, en quelques jours, des fusions de réacteurs en cascade. La question que doivent à présent se poser les gestionnaires de sites nucléaires n’est pas tant celle de la sécurité dans un contexte de réaction optimale, mais plutôt celle de la combinaison hasardeuse pouvant enclencher une spirale exponentielle, comme celle de Fukushima.
L’autre leçon du 11 mars 2011 aura été la réaction des autorités face à la catastrophe. La fermeture progressive des 54 centrales nucléaires1 qui assuraient l’indépendance énergétique du pays, et le succès d’une série de mesures visant à réduire drastiquement la consommation, méritent notre attention. Ce choix constitue un argument hors pair contre les défenseurs de la surconsommation énergétique, et tous ceux qui affirment que nos sociétés ne peuvent pas se permettre une baisse drastique de la consommation.
Contraint de le faire, le Japon a radicalement réduit sa consommation, sans pour autant sacrifier ni son niveau de vie, ni sa productivité. Certes, des centrales thermiques ont été remises en service, mais le succès de la transition repose surtout sur une utilisation plus intelligente de l’énergie disponible. Aujourd’hui l’industrie s’efforce de consommer en alternance avec les particuliers. Les usines énergétivores travaillent le week-end ; quant aux particuliers, ils participent sans faille à l’effort demandé. Le résultat est pour le moins surprenant. Il ouvre sans aucun doute une voie que personne n’osait envisager il y a encore un an.

 

 

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