Concours, sa légitimité en question
Mi-février, le Grand Conseil fribourgeois acceptait une motion demandant d’assouplir l’obligation des communes d’organiser des concours, dès que le bâtiment à construire ou rénover dépasse le seuil de cinq millions de francs. La section Fribourg de la SIA réagit.
De l’avis de Nicolas Kolly (UDC) et Claude Brodard (PLR), auteurs de la motion plébiscitée, il est contraignant pour les collectivités publiques, et les communes en particulier, d’être systématiquement astreintes à organiser un concours d’architecture en cas de construction ou de rénovation. Ces dernières devraient pouvoir choisir la procédure mise en oeuvre. En cause, une disposition sibylline de l’article 48 du règlement sur les marchés publics (RPM) qui précise, à l’alinéa 1, que « la construction d’un bâtiment ou d’un ouvrage d’art fait en principe l’objet d’un concours ». Actuellement, le même article prévoit que l’adjudicateur puisse se passer du concours si la valeur du projet est inférieure à 5 millions de francs pour un bâtiment et 10 millions pour un ouvrage d’art. Non sans provocation, les motionnaires proposent de relever ces seuils à 40 millions et ajoutent que «le concours est une procédure de riches qui n’amène pas systématiquement la plus-value attendue».
Une telle rhétorique méprise aussi bien l’importance du travail de conception que l’expertise des architectes et des ingénieurs, pourtant au coeur de l’acte de bâtir, et fait de l’argument économique non pas un outil, mais une fin en soi. Or, cette vision cantonale du concours va à l’encontre du changement de paradigme amorcé par la loi sur les marchés publics révisée (LMP), entrée en vigueur le 1er janvier 2021: celle-ci préconise en effet la préséance de la qualité sur le prix à l’échelle nationale. En 2018, pourtant, le conseiller fédéral Alain Berset invitait les ministres européens à une rencontre, donnant lieu à l’adoption de la Déclaration de Davos, laquelle vise à favoriser le débat sur la «culture du bâti». À n’en point douter, les auteurs font fi de cette notion, qui a pourtant déjà fait son entrée dans le «Message culture 2016-2020», à l’initiative de la SIA et de ses alliés. Tout autant, ils paraissent ignorer que la culture du bâti fait aujourd’hui partie des priorités de la politique culturelle suisse.
Quant à la SIA section Fribourg, elle a pris contact avec Jean-François Steiert, conseiller d’État en charge de la Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions (DAEC) et se montre pressée d’échanger avec les communes et leurs représentants. À ce propos, son président, Dominique Martignoni, déclare : «Si cette motion a lancé un pavé dans la mare, elle a au moins eu le mérite d’ouvrir une discussion de fond sur le concours. Nous avons ainsi pu nous rendre compte que ce que nous prenions pour acquis, soit les arguments en faveur de ses avantages, sont communément admis, mais par un cercle d’initiés uniquement. Nous allons prendre contact avec l’Association des communes fribourgeoises (ACF) pour leur exposer les plus-values du concours; l’échange d’idées et l’innovation qu’il induit, tout autant que son importance pour les jeunes bureaux et la formation de la relève.»
La motion a été transmise au Conseil d’État, qui s’est dit prêt à entrer en matière sur le sujet, à travers l’objectif de la recherche de la meilleure solution pour toutes les parties prenantes. La motion sera traitée dans le cadre de la révision de la législation sur les marchés publics, survenant dans le cadre du processus d’adhésion à l’Accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP) révisé. La SIA section Fribourg a été intégrée au processus de révision du RMP. Elle conclut : «Quelle que soit l’issue de ce débat politique et juridique, nous sommes convaincus qu’il est essentiel d’aller à la rencontre des communes et des maîtres de l’ouvrage publics, afin d’expliquer en quoi consistent nos métiers, de chasser certains a priori concernant les concours et de démontrer comment nos méthodes ont été éprouvées.»