Les STEP: épu­rer, mais pas seu­le­ment

Lors du salon aqua pro, qui s’est tenu à Bulle en février dernier, le Groupement romand des exploitants de stations d’épuration des eaux (GRESE) a organisé un séminaire dédié aux micropolluants. Ces substances actives dans l’environnement déjà à de très faibles doses sont le grand chantier du moment pour les professionnels de l’épuration des eaux. À cette occasion, TRACÉS s’est entretenu avec Philippe Koller, président du GRESE.

Data di pubblicazione
14-06-2024

TRACÉS: Monsieur Koller, nous arrivons à la moitié du délai de 20 ans que le législateur a donné aux propriétaires de stations d’épuration des eaux pour se mettre en conformité avec la loi sur la protection des eaux (LEaux) et de l’ordonnance sur la protection des eaux (OEaux), toutes deux révisées en 2016. Quelle est la situation aujourd’hui?

Philippe Koller: À l’heure actuelle, sur les 120 STEP éligibles pour l’introduction de cette phase de traitement dans notre pays, 71 sont équipées ou en cours de l’être. Parmi celles-ci, 23 sont déjà opérationnelles, dont 5 en Suisse romande.

Alors que les sources de micropolluants sont très nombreuses, pourquoi le législateur s’est-il focalisé sur les STEP?

L’amélioration des techniques d’analyse nous a permis de comprendre les effets des composés traces organiques actifs à très faible concentration et d’en déterminer les sources: on parle de 30 000 composés provenant de médicaments, de produits cosmétiques et d’entretien, de peintures, de pesticides, etc. Lorsque la question de leur traitement s’est posée, l’OFEV est arrivé à la conclusion qu’il serait plus aisé de le faire non pas à la source, mais au bout du tuyau, à la sortie d’une STEP, là où transitent plus de la moitié des micropolluants. Cette stratégie va naturellement de pair avec une réduction de la production des grosses sources identifiées, comme l’industrie ou l’agriculture.

Quelles nouvelles techniques a-t-il fallu développer pour traiter les micropolluants?

Les techniques ne sont pas nouvelles, puisqu’elles sont déjà utilisées pour le traitement de l’eau potable, mais il a cependant fallu les adapter au traitement des micropolluants. Il existe deux procédés, avec des variantes. Le premier est l’ozonation, qui possède un large spectre d’efficacité: de l’ozone (O3) est injecté dans l’eau d’un bassin sous forme de microbulles et oxyde les molécules de matière organique présentes, dont les micropolluants. Les sous-produits d’oxydation qui en résultent sont ensuite dégradés biologiquement au moyen d’une filtration sur sable.

Le deuxième est l’adsorption: les micropolluants se lient à certains matériaux, comme le charbon actif en poudre, en grains ou en micrograins. Le charbon saturé doit ensuite être régénéré par pyrolyse à 800° C: les micropolluants sont détruits, mais la matrice du charbon est conservée.

Les deux procédés permettent de capturer 80 % des micropolluants, conformément aux exigences légales. Étant donné qu’il y a plusieurs dizaines de milliers de micropolluants et qu’il en arrive de nouveaux, comment peut-on garantir ce seuil? 

Comme il est impossible de tous les surveiller, la loi sur la protection de l’eau a défini douze substances représentatives et significatives de référence parmi lesquelles un choix de cinq molécules est effectué par l’autorité cantonale. Leur concentration est mesurée à l’entrée et à la sortie des STEP. 

Quel est l’impact du traitement des micropolluants sur une STEP et ses exploitants?

Comme il s’agit d’un procédé supplémentaire, la charge de travail de l’exploitant concernant la surveillance du bon fonctionnement du dispositif de traitement et le suivi de performances est accrue. Il nécessite aussi de l’espace pour l’étape supplémentaire de traitement et les équipements associés, ainsi qu’un investissement conséquent. Enfin, les frais d’exploitation augmentent avec les coûts de la consommation énergétique plus élevés et les frais de régénération du charbon actif. Les problèmes sont donc davantage économiques que techniques. Précisons encore que le traitement des micropolluants ne concerne pas toutes les STEP, mais uniquement celles de plus de 80 000 équivalents-habitants1, soit environ 120 installations.

On voit de plus en plus de projets locaux de gestion intégrée des eaux, dont les eaux usées. Quel est leur impact sur les STEP et comment la qualité des eaux est-elle surveillée?

Pour l’instant, ces expériences sont en nombre très limité, et les volumes considérés sont très faibles. Il n’y a donc pas d’impact à l’heure actuelle sur les STEP. Mais il est clair que la question pourrait se poser de manière différente si ces projets devaient se multiplier – ce dont je doute, vu le sentiment de rejet qu’engendrent les eaux usées. Pour ce qui est des contrôles, ils sont à la charge de l’autorité cantonale de surveillance. C’est à elle de vérifier que les installations fonctionnent correctement, ne polluent pas l’environnement et ne produisent pas de nuisances olfactives pour le voisinage. Toutes les STEP sont soumises au même régime: les publiques, les industrielles et les privées, ainsi que les fosses sceptiques et les installations individuelles de traitement.

Mais pas pour ce qui est des micropolluants, où la limite est fixée à 80 000 équivalents-habitants?

En effet, mais les discussions sur le plan politique vont dans le sens d’une extension des exigences de traitement dans un deuxième temps, dès que les 120 grandes STEP auront été équipées, voire même avant. 

Au-delà de la question des micropolluants, quels sont les défis auxquels sont confrontées les STEP aujourd’hui?

Un des défis consiste à faire comprendre qu’une STEP va, de plus en plus, servir à autre chose qu’à «seulement» épurer l’eau! Au Québec, on ne parle ainsi plus de STEP, mais de StaRRE: station de récupération des ressources de l’eau. Les ingénieurs ont depuis longtemps mis au point des procédés de valorisation des «déchets» contenu dans l’eau. Commençons par la valorisation anaérobie des boues, un processus assez généralisé en Suisse, qui permet de produire du biogaz pour les besoins propres de la STEP ainsi que pour l’alimentation du réseau de gaz naturel. On peut également récupérer l’énergie calorifique de l’eau épurée. À la STEP du Bois-de-Bay à Genève, nous récupérons cette énergie pour chauffer les bâtiments de la station depuis 2009. Dans le cadre de grands travaux de renouvellement et d’extension à la plus grande STEP de Genève et bientôt de Suisse, celle d’Aïre, il est prévu d’installer des pompes à chaleur (PAC) qui permettront de valoriser l’énergie thermique contenue dans les eaux épurées, appelée également «chaleur fatale». Ces calories, aujourd’hui « perdues » dans le Rhône, seront récupérées et valorisées pour alimenter le réseau de chauffage à distance (CAD) à hauteur de 20 à 25 % d’énergie renouvelable. Ces nouvelles installations contribueront fortement à réduire l’utilisation d’énergies fossiles pour le chauffage des habitants du canton de Genève.

Suivant le terrain, il est aussi possible de produire de l’énergie électrique par turbinage des eaux usées à l’entrée de la STEP, comme c’est le cas au Châble (VS) avec les eaux usées de Verbier. Néanmoins, cette technique est peu répandue.

Mais les STEP sont également riches en matières premières: à Yverdon-les-Bains, par exemple, l’ammonium (NH4+) est valorisé sous forme d’engrais pour l’agriculture. À l’avenir, nous serons à même de récupérer le phosphore, un nutriment essentiel pour les végétaux, dans les boues de STEP. En Suisse, l’incinération des boues détruit chaque année 6000 tonnes de phosphore, alors que le pays importe 4200 tonnes d’engrais phosphatés. Il y a également des projets pour transformer la biomasse en biopolymères pour en faire des matériaux de base pour l’industrie.

Il est primordial que la population comprenne mieux le rôle des STEP. À cet égard, celle de Neuchâtel2, exemplaire sur le plan de la consommation énergétique et de la production de CO2, offre aux piétons un véritable passage de mobilité douce à travers ses installations: une excellente occasion pour les passants de se familiariser avec leur STEP!

Philippe Koller est le président du Groupement romand des exploitants de stations d’épuration des eaux (GRESE). Ce biologiste et ingénieur en protection de l’environnement travaille à SIG en tant qu’adjoint de direction et gestionnaire de portefeuille d’actifs à l’activité eaux usées.

Micropolluants
À l’heure actuelle, les STEP dégradent avant tout les nutriments (carbone, phosphore et azote) présents dans les eaux usées. Nombre de composés chimiques (médicaments, cosmétiques, pesticides, etc.) ne sont pas ou peu éliminés et se retrouvent dans les cours d’eaux. Ces substances peuvent avoir des effets néfastes sur le milieu aquatique et polluer les ressources en eau potable même à des concentrations infimes, d’où leur dénomination de micropolluants. 

 

S’ils proviennent de sources aussi diverses que l’agriculture ou le trafic routier, l’apport principal est lié aux STEP. Afin de réduire de moitié l’apport de ces substances dans les eaux, une centaine de STEP suisses vont devoir s’équiper d’ici 2035 d’un traitement supplémentaire capable d’éliminer 80 % des micropolluants de l’effluent.

 

Cette mesure fait suite aux modifications de la loi sur la protection des eaux (LEaux) et de l’ordonnance sur la protection des eaux (OEaux) entrées en vigueur le 1er janvier 2016.

Notes

 

1 L’équivalent-habitant (EH) est une unité conventionnelle de mesure de la pollution moyenne rejetée par habitant et par jour. La charge polluante rejetée par les ménages, les industries, les artisans est exprimée en EH, autrement dit une industrie de 100 EH pollue autant que 100 personnes.

 

2 Philippe Morel, «Station d’épuration de Neuchâtel: une rénovation à énergie positive»

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