Ma­de in CVS-E

Pas de collages utopiques, de porte-avions, de turbines électrique sou de gratte-ciel. Le premier concours à un degré en procédure ouverte remporté par le bureau Made in après de nombreuses tentatives¹ s’inscrit dans un registre architectural inédit pour ce bureau, plutôt connu pour ses projets provocateurs et iconoclastes. Il s’agit ici d’un projet d’assainissement intérieur et de rénovation des façades d’un bâtiment emblématique de Fribourg, la Haute école de gestion (HEG-FR) et la section géographie de l’Université de Fribourg (UNI-FR).

Pourtant, c’est précisément dans ce cadre d’étude si particulier que les architectes négligent encore trop souvent –seulement 10 participant·es pour un concours estimé à 23,5 mio CHF–, que le bureau genevois a pu illustrer sa capacité à synthétiser diverses couches de complexité. Parmi d’autres critères, c’est surtout l’aptitude du projet à lire et interpréter les multiples strates d’un bâtiment emblématique, qui n’est pourtant pas protégé par le registre du Service des biens culturels, qui lui a permis de se démarquer de ceux des concurrents.

Redéfinir l’identité et le caractère d’un bâtiment emblématique.

Construit dans les années 1970 par les architectes Bachmann Antognini et Anthonioz sur le site de l’ancien Institut agricole de Pérolles, la HEG-FR et la branche de géographie sont actuellement logées dans un bâtiment vétuste du point de vue énergétique, technique et sécuritaire. Le confort n’est plus à l’ordre du jour et les utilisateur·ices peinent à trouver un environnement propice au développement de leurs études. Conscient de ces lacunes, l’État de Fribourg a lancé en fin d’année dernière un concours visant à mettre en conformité l’enveloppe extérieure du bâtiment, tout en améliorant les conditions d’utilisation des 12 900 m² d’espaces intérieurs. La prise en compte du cycle de vie du bâtiment et la valorisation des matériaux existants font également partie des exigences du cahier des charges ciblées par l’État. Il s’agit là d’un défi responsable mais audacieux, qui impose aux architectes de piloter une équipe pluridisciplinaire formée au minimum de sept ingénieur·es-conseils.

Plutôt que de se noyer dans les multiples prescriptions, normatives, économiques et réglementaires à respecter, ou d’en faire fi au nom d’une «idée joyeuse», les architectes parviennent à proposer une lecture historique, fondée sur l’analyse technique et urbaine du bâtiment. Situé dans un contexte qui a connu de grandes évolutions ces dernières années avec la construction del’École des Métiers (Graber Pulver, 2011) et du pavillon de médecine PER17 (JPF, 2018), le bâtiment d’origine a progressivement perdu son identité urbaine, que les architectes s’efforcent de retrouver en mettant en valeur les qualités de la façade de 1972, partiellement dissimulées lors de la rénovation de 1997.

Les principaux choix techniques viennent renforcer cette idée centrale. La structure métallique d’origine est mise à nu, les tôles profilées de 1997 sont réutilisées sur les façades principales, et un nouveau système de fenêtres dotées de stores à projection est proposé pour briser la rigidité actuelle du bâtiment. Afin de renforcer davantage son identité, les deux façades principales, longues de 91 m, sont couronnées de frises sous la forme de panneaux photovoltaïques verticaux². Cela permet non seulement de souligner la figure définitive du bâtiment, mais aussi de compléter l’installation prévue sur le toit, d’une surface d’environ 225 m². Au rez-de-chaussée, les allèges sont supprimées afin de donner un caractère public au bâtiment et de renforcer la relation visuelle et fonctionnelle avec les futurs aménagements extérieurs, notamment la création d’une terrasse pour la cafétéria.

Le deuxième et troisième prix, conçus par des bureaux fribourgeois, respectivement Cyrille Fasel architectes et Zamparo architectes, proposent une intervention similaire, avec des approches plus «minimalistes» et quelque peu mimétiques envers le caractère du bâtiment d’origine. Seul le 4e prix du bureau bernois Büro B Architekten cherche une identité propre avec un traitement marqué du socle et une végétalisation verticale des façades principales. Tous trois sont obnubilés par l’idée de masquer les détails techniques, pourtant inhérents à tout assainissement énergétique contemporain.

Loin de là, les solutions constructives, et déconstructives, du lauréat s’enchaînent pour parachever et coordonner un projet d’ingénierie climatique³ à la hauteur des attentes du maître de l’ouvrage. Les faux plafonds sont déposés, les dalles nervurées sont mises à nu, les radiateurs sont repositionnés, les allèges préfabriquées sont prévues en bois, les vitrages sont en verre recyclé et la récupération d’eau de pluie est organisée.Tout cela, résumé sur deux planches A0 afin de garantir que les qualités architecturales priment sur l’amalgame de facteurs technico-économiques à respecter. Un choix intelligent et fort de la part de l’organisateur. Malgré cette approche climatique sensible, le projet fait l’objet de critiques lors des évaluations, tels que l’impact des voies d’évacuation situées au centre du bâtiment, qui, selon les expert·es, «altèrent» les qualités spatiales du hall d’entrée, ou encore la création d’un corridor souterrain pour le stationnement des vélos, considérée comme «pertinente mais coûteuse et peu durable».

Un palimpseste à la verticale

Obligés de se plier au langage, à l’échelle et aux proportions d’une construction préexistante, ce n’est ni une typologie architecturale radicale, ni une composition spatiale héroïque qui démarque la proposition des lauréats. C’est surtout le réemploi sensible de la mémoire technique des façades et sa mise en exergue, qui permettent au bureau lauréat de déployer massivement l’ingéniosité de son architecture. Comme l’affirment les auteurs du projet lauréat dans leur récente publication Portraits architecturaux, «…toutes les idées sont basées sur des idées antérieures, sur leur imitation, leur inversion, leur rejet, leur adaptation, leur réinterprétation ou encore leur mépris».

À Fribourg, ce n’est pas une question de rejet, mais d’acceptation d’une enveloppe malmenée au fil des années qui leur permet de désassembler une expression architecturale existante et vétuste, pour réassembler et façonner des solutions énergétiques, structurelles, physiques et environnementales durables. Pourrait-on dire que c’est justement ce type de solutions que Made in poursuit depuis des années, de manière plus forcée, sur des projets ex nihilo? Est-ce que les notions de durabilité, déconstruction ou réemploi, ou la mise aux normes de structures existantes, ne sont pas, enfin, un registre architectural sur mesure?

Alors que les architectes qui remportaient tous les prix il y a quelques années –quand Made in ne gagnaient pas– peinent à intégrer les urgences environnementales actuelles, le premier concours en procédure ouverte remporté par le bureau de Heiz et Charbonnet fusionne ces deux imaginaires en une seule et unique «machine architecturale». Leur pensée «palimpsestique» est probablement à l’origine de leur réussite. Le projet à Fribourg ouvre en tout cas une voie pour fusionner les défis du changement climatique avec les vertus d’une architecture de qualité.

Notes

1. Liste des projets primés : Extension du Kunstmuseum, 2009, Bâle, 2e rang / Nouveau Musée cantonal des Beaux-Arts, 2011, Lausanne, 3e prix / « Cluster sport international » (Synathlon), 2015, Ecublens, 3e prix / Campus Santé,2016, Lausanne, 3e prix / Zollstrasse Ost. Dienstleistung – MEP avec présélection, 2015, Zurich, 1er prix
2. Il y a quelques jours, l’établissement cantonal d’assurance immobilière (ECA) du canton de Zurich a décidé de ne plus autoriser la présence de panneaux solaires sur les façades des grands bâtiments, invoquant le risque d’incendie.
3. Marc Frochaux, « Raviver la flamme : mécaniques environnementales », TRACÉS 2017/22

Concours pour la rénovation des façades et l’assainissement intérieur de la HEG-FR et de la section géographie de l’université (UNI-FR), à Fribourg (FR).

• Maîtrise d’ouvrage : État de Fribourg – Direction du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement(DIME) / Service des bâtiments (SBat)
• Procédure : Concours de projets d’architecture pour équipe pluridisciplinaire à un degré en procédure ouverte, SIA 142
• Organisateur : Alexandre Clerc architectes
• Président du jury : Michel Graber, architecte cantonal de Fribourg
• Projet lauréat : Magnolia, (1er rang, 1er prix), Made in, Jakob Forrer, Duchein–études techniques sanitaires,Bureau d’études Patrick Pedrotta,  Gartenmann Engineering, Dr. Lüchinger+Meyer Bauingenieuer, DVCI.

Résultats complets du concours : (Lien vers competition) :

 

Espazium Competition - Concours pour la rénovation de la HEG-FR / UNI-FR