Im­meuble coo­pé­ra­tif L’Atria: par-delà le con­cept struc­tu­rel

Les projets de Brauen Wälchli Architectes sont de ceux dont le concept entier pourrait tenir sur un post-it: un geste radical guidé par un principe structurel fort qui semble se détacher de la programmation du bâtiment. Qu’apporte cette rigidité structurelle à l’usage – une contrainte ou au contraire une libération?

Date de publication
17-09-2024

«Pièce manquante» du nouveau quartier des Eaux-Vives (Genève) qui enchâsse la gare CEVA inaugurée en 2019, la coopérative d’habitation L’Atria se présente comme un bloc creusé en damier qui interpelle tant son apparence dénote la sobre architecture genevoise. Derrière la simplicité apparente du jeu formel de façade se cache cependant une complexité technique et programmatique qui a dérouté plus d’un bureau lors du concours lancé il y plus de dix ans : plusieurs maîtres d’ouvrage, proximité avec une infrastructure ferroviaire et contexte urbain dense1. Avec 155 logements d’utilité publique et près de 3000 m2 de surfaces d’activités, dont un hôtel d’application, la coopérative L’Atria est la première pièce urbaine des deux remportées par Brauen Wälchli Architectes (B·W·A) à sortir de terre. Un consortium intergénérationnel de trois coopératives régit le bâtiment : Insula pour les familles, Génération Logements pour les personnes ayant atteint l’âge de la retraite et L’Étrier pour les étudiant·es et jeunes actifs·ves. Le tout contenu dans une boîte, une résille massive laissant peu transparaître de la vie en coopérative qui se déroule à l’intérieur.

Un mur en subtiles variations

Véritable concept architectonique, la façade en damier de la coopérative déjoue les règles de la gravité. Les assemblages «pleins vides», le contrôle millimétré des joints entre les préfabriqués béton, révèlent la maîtrise de B·W·A de ces éléments constructifs que l’on pensait éprouvés. Pour ce faire, le travail coordonné entre architectes, ingénieurs, maçons, constructeur métallique et préfabriquant a abouti à un système de panneaux sandwich montés en usine en forme de «T-shirt». Mis bout à bout, les éléments préfabriqués fonctionnent comme des poutres Vierendeel superposées, une structure en béton renforcée par des profilés métalliques permettant de transmettre les charges verticales par les efforts tranchants en bord de dalle. Ce concept structurel a par ailleurs ­facilité le levage et la pose de ces imposants éléments préfabriqués sur un chantier en cœur de ville où le stockage est impossible. De manière imperceptible, les deux premiers niveaux ne sont pas construits sur le même modèle : le béton préfabriqué n’est alors que parement, et, côté rue, les pans de murs prennent la forme d’une large colonnade sur double hauteur. Afin de contrebalancer la massivité de ces pièces mesurant près de 3×3m (6×3m pour la galerie couverte), une recherche sur la composition du béton avec des agrégats jurassiens a été menée pour leur conférer cette teinte très claire, peu commune à Genève.

Si, de loin, la façade s’étend invariablement sur les 130 m de long du bâtiment, pour qui s’approche de plus près, de subtiles interventions apparaissent en filigrane dans le dessin des menuiseries en bois qui composent les vides du damier. Tantôt loggia, tantôt fenêtre, elles s’incrustent indifféremment entre les préfabriqués béton, contribuant ainsi à l’homogénéité de la façade. De proportions inusuelles, environ 3.10 m de large et toute hauteur, les fenêtres sont parées d’ouvrants généreux et de garde-corps discrets mettant en relation directe les pièces de vie avec l’extérieur, au bénéfice notamment des logements dépourvus de loggias. La division verticale des fenêtres permet d’introduire des parties pleines, en bois. Celles-ci camouflent des renversements typologiques d’un étage à l’autre, en fonction du damier, ou font ponctuellement cohabiter deux espaces de vie partageant la même ouverture. Les murs de façade fonctionnent alors comme une grille autonome capable d’absorber les variations typologiques. Ils assurent un certain degré de flexibilité aux espaces intérieurs conçus en cloisons légères – lesquelles pourraient être modifiées ou abattues pour répondre à un changement d’affectation du bâtiment.

Du noyau au couloir, du couloir à la ville

D’un trait sûr, un long noyau central traverse la coopérative et organise les logements autour de cinq cages d’escaliers, une longue allée pour la coopérative de L’Étrier, deux pour Insula et pour Génération Logements. Profitant d’un surépaississement des murs, des niches marquent l’accès aux appartements: le seuil est renforcé par un éclairage individuel au-dessus de chaque porte.  Sur toute la longueur du noyau, les parois en béton sont en effet doublées par des gaines auxquelles viennent se «brancher» les pièces d’eau et les cuisines. Avec une certaine efficience, cette ceinture technique contribue à la flexibilité du plan entre noyau et façade, laissant le champ libre aux pièces de vies sur tout le pourtour du bâtiment. Dès lors, plus d’une dizaine de typologies se répètent et s’intervertissent à chaque étage, répondant chacune aux demandes des trois coopératives et à des dispositions légales différentes: logements allant de 2 à 5 pièces, clusters avec ou sans salles de bain privatives, appartements traversants, habitations communicantes, etc. Du plan rationnel élaboré en concours, fonctionnant avec des couches successives tramées et alignées (noyau / salle d’eau / pièce de vie), le projet s’est mué en une formidable machine à vivre en plan libre.

Loin de vouloir rompre avec l’imposante linéarité du bâtiment déterminée par le plan localisé de quartier, le projet l’assume et en joue. Aux étages communs et semi-publics, des couloirs accolés au noyau sont interrompus par des moments de surprise, offrant des cadrages sur la ville. Entre le rez-de-­chaussée et le premier étage se construit le rapport à la rue. Comme un écho à la division classique des immeubles européens, avec commerce et entresol, la galerie abrite sur sa double hauteur les arcades et l’hôtel d’application2. En partie haute, les chambres hôtelières s’alignent successivement sur un (très) long couloir qui se transforme en passerelle vitrée à l’endroit du passage couvert reliant l’avenue à l’esplanade de la gare des Eaux-Vives. En attique, un couloir davantage labyrinthique connecte les différentes cages d’escaliers aux locaux partagés: buanderies, cuisine communautaire, salle polyvalente, etc. Il débouche de part et d’autre sur un patio axé au centre de l’édifice, orienté cette fois-ci du côté de l’esplanade, et à partir duquel il est possible d’accéder à la toiture. Là, il sera possible de jardiner ou de prendre un verre à la guinguette de l’hôtel – avec vue sur le Salève ou sur le lac, à choix.

Chaque réalisation de Brauen Wälchli Architectes est identifiable par le soin porté à un élément, un matériau, un procédé technique. L’immeuble coopératif L’Atria aux Eaux-Vives n’échappe pas à cette règle, fruit de l’accumulation de savoir-faire du bureau fondé en 1990. Il prolonge d’ailleurs une discussion séculaire, à savoir si le projet d’architecture doit proposer un cadre de vie, aussi rigide soit-il, ou s’il doit épouser de manière organique des usages variés, au risque de les assujettir aux modes d’un temps présent. Ueli Brauen se positionne clairement : « Une façade doit être assez forte et claire pour accepter des variations. » Celle de la coopérative L’Atria a cependant de quoi surprendre, par son aspect répétitif, voire monotone. Sa rigueur induit un sentiment de perte d’échelle et une ambiguïté programmatique dans le rapport que le bâtiment entretient avec la ville, car son uniformité pourrait tout aussi bien correspondre à un immeuble de bureaux ou à un centre commercial. En revanche, la capacité du bâtiment à générer des relations entre les étages, entre les occupant·es, est remarquable. De la rue à la toiture prend place une double introversion du projet, qui non seulement répond à la cohabitation en coopérative, mais déborde également sur un quartier en recherche de mixité. Passée l’entrée, le damier admet tous les mouvements.

Coopératives d’habitation inter­générationnelle L’Atria, GEnève

 

Maître d’ouvrage: Coopérative de L’Étrier, Coopérative Insula Eaux-Vives, Coopérative Génération Logements Eaux-Vives

 

Architectes: Brauen Wälchli Architectes en association avec Tekhne

 

Surface: 12 000 m2 SBP dont 3000 m2 d’activités

 

Nombre de logements: 155

 

Concours: 2013-2014

 

Projet: 2016-2018

 

Réalisation: 2020-2024

 

Ingénieur civil: Thomas Jundt Ingénieurs Civils et SBIng.

 

Ingénieur chauffage-ventilation:  Conti & associés Ingénieurs

 

Ingénieur sanitaire: SRG engineering et Schumacher & CHIngS Ingénieurs

 

Ingénieur électricité:  Zanetti ingénieurs conseils

 

Éclairagiste: Aebischer & Bovigny

 

Architecte paysagiste: Oxalis

 

Entreprise générale: Marti Construction

 

Constructeur métallique: Stephan

Préfabriquant béton:  MFP préfabrication

Notes

 

1. Rapport du jury du concours pour la construction de logements, d’équipements publics et sportifs, de surfaces d’activités et de parking (2014). 
Le concours a été organisé par la Ville et l’État de Genève en association avec Fondation de la Ville de Genève pour le logement social et la coopérative Fédération des Eaux-Vives – un consortium qui regroupe les coopératives de L’Étrier, Insula Eaux-Vives et Génération Logements Eaux-Vives. Il est constaté dans ce rapport que seul une vingtaine de bureaux ont participé au concours. Le rapport du jury peut être consulté sur ­competitions.espazium.ch

 

2. L’hôtel d’application est tenu par des étudiant·es de l’école hôtelière, les chambres sont proposées à un tarif préférentiel aux coopérateurs·trices.

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