Aux Plaines-du-Loup, le paysage est un sport de combat
En inaugurant la deuxième phase du projet des Plaines-du-Loup par un concours ouvert pour les espaces publics, la Ville de Lausanne entend donner toute leur place aux usages et au vivant. Elle tente aussi de rendre acceptable la densité, critiquée lors de la première phase.
Dans la deuxième phase (PPA2) du plus gros projet d’aménagement lausannois1, la Ville de Lausanne et l’équipe Métamorphose expérimentent un nouveau processus. La première phase (PPA1) avait débuté par un appel d’offres à investisseurs, suivi de MEP ou de concours pour définir des concepts d’ensemble et aménagements extérieurs pour chacune des cinq pièces urbaines composant le PPA, donc sans une vision globale et en multipliant les procédures. Cette fois, le choix a été fait de définir un projet de paysage cohérent à l’échelle de l’ensemble du PPA2, dans lequel devront s’inscrire les investisseurs et architectes de la vingtaine de bâtiments à venir2.
Le concours ouvert de projets d’espaces publics a été préparé en interne bien en amont3. Une démarche participative a notamment été menée avec les services techniques de la Ville pour élaborer un concept des espaces publics du PPA2 qui définit l’armature paysagère du quartier et la programmation des espaces publics – typologies, vocations, ambiances. Pour Marie-Hélène Giraud, architecte-paysagiste et présidente du jury, «l’enjeu ici est d’avoir un concept paysager global très solide dès le départ pour pouvoir négocier, au sens noble du terme, avec les acteurs de la construction qui viendront ensuite. On sait que face à leurs contraintes, l’espace public peut devenir une variable d’ajustement, et le paysage paie souvent le prix fort. Le concept des espaces publics permet de solidifier les positions, même si les lignes vont forcément bouger.»
Puissant imaginaire de la forêt
Alors même que l’affiche paraissait alléchante – un concours international ouvert aux architectes-paysagistes pour définir un concept d’aménagement sur 17 ha et en assurer la maîtrise d’œuvre –, peu de bureaux (neuf) ont répondu à l’appel. Marie-Hélène Giraud l’explique d’abord par l’ampleur du projet et sa durée, peu communes en Suisse romande: «Il faut avoir les reins solides pour s’engager sur dix ans, avec des négociations difficiles à la clé.» Ensuite par un phénomène conjoncturel: «Nous militons depuis 20 ans pour le paysage; aujourd’hui, nous avons été entendus mais il y a un déficit de formation. Les paysagistes sont sursollicités et peuvent se permettre de choisir. Ce projet-là, avec des contraintes très fortes posées dans le programme, les a peut-être dissuadés.»
C’est l’équipe Monnier architecture du paysage, Studio Alberto Figuccio, b-plan engineering, Planisol, Perenzia ingénieurs, JMJ ingénieurs conseils, qui l’a emporté avec le projet Promenons-nous dans les bois : un concept clair autour de l’idée de «forêt habitée», mis en forme dans un rendu très travaillé et abouti, presque un avant-projet, qui semble tout régler. Une image du quartier à terme: des îlots bâtis noyés dans la végétation.
Le projet s’inscrit dans les connexions paysagères et la trame verte lausannoise, qu’il vient compléter, et propose de planter 1500 à 2000 arbres sous forme de boisements, d’arbres dans l’espace public, de pépinières. Les essences sont forestières, plantées jeunes et denses, puis sélectionnées. Le projet déploie une grande variété d’espaces et de parcours qui structurent le futur quartier. Il travaille enfin sur le sol et l’eau, réutilisant près de 90 % des terres d’excavation (76 000 m3) pour régénérer les sols actuels (terrains de foot, parking) et assurer quasiment 100 % des sols en pleine terre (5 % de surfaces imperméables).
Naviguer à vue mais garder le cap
Au 2e rang, l’équipe Apaar, Radiance35, Büro für Mobilität, Viridis Environnement avec le projet Couronne gourmande adopte une démarche plus risquée en proposant un processus, des ambiances et des usages plus qu’une image à terme. Un projet moins «clé en mains» et littéralement moins «vert» que le lauréat dans son esprit et son rendu. L’équipe a par ailleurs remis en question le programme en proposant, dans le premier degré, de transformer l’axe principal circulé, la route des Plaines-du-Loup, en rue piétonne. Une option finalement abandonnée au second degré mais qui a eu le mérite de lancer un débat plus prospectif: quelle place donner à la voiture dans les projets d’aujourd’hui alors qu’elle sera peut-être minoritaire dans 20 ans? C’est tout l’intérêt du concours ouvert que de faire émerger des propositions qui bousculent les postures établies, avec le risque pour les candidats qu’elles soient mal comprises, sans possibilité de les défendre de vive voix, d’en débattre avec les maîtres d’ouvrage et les services. Cette prise de risque n’a pas payé cette fois et le projet, plus axé sur les usages, l’appropriation et l’évolutivité, mais techniquement insuffisamment détaillé, n’a pas convaincu le jury de sa faisabilité.
Des arbres pour cacher la forêt de bâtiments?
Les approches de projet contrastées des deux équipes ont «nourri de riches débats» et témoignent «du point de bascule où se trouve aujourd’hui la pratique de l’aménagement, qui questionne la fabrique de la ville», lit-on dans le mot de la présidente qui introduit le rapport du jury. «Dans un contexte d’incertitude, renforcé par le temps long de l’émergence d’un nouveau quartier, faut-il privilégier un projet garantissant le plus précocement possible l’atteinte des ambitions affichées, ou faut-il plutôt fixer un cap, construire une embarcation solide, dotée d’un équipage expérimenté et solidaire, pour s’aventurer dans une forme de navigation à vue?»
Le concept de forêt habitée, par sa puissance d’évocation (un imaginaire de fraîcheur, de biodiversité et de nature sauvage) autant que par le flou qui l’entoure (à quoi ressemble vraiment une forêt habitée, quelles sont les références existantes?), peut convaincre et rassembler aussi bien les investisseurs que les citoyens. Pour Marie-Hélène Giraud, la forêt habitée est «un projet que le maître d’ouvrage voudra et pourra porter, que la Ville pourra défendre, assez fort pour maintenir un cap et faire valoir la place du végétal au moment des négociations avec les investisseurs et les architectes.» Le paysage étant un sport de combat, c’est donc la puissance de l’image qui a été jugée la plus apte à garantir la pérennité d’un projet cohérent sur le long terme.
Pour la Ville, si l’ambition est bien de prendre à bras le corps la question des usages, des sols, de l’eau et du végétal, le choix du lauréat est sans doute aussi celui qui répond le mieux à un enjeu fort de communication: face aux critiques contre la densité du PPA1, comment faire accepter cette deuxième phase, aussi dense, sinon plus, que la première? C’est l’effet magique des arbres, qui cachent la forêt des bâtiments.
Notes
1 Voir notamment le dossier consacré au projet dans TRACÉS 01-02/2019
2 Le projet de paysage ne détermine pas pour autant le projet urbain : la Ville avait défini préalablement une image directrice qui fixait les emprises des bâtiments, leurs implantations, les gabarits, les hauteurs, etc.
3 Sous l’impulsion de Romaine Martinella, responsable de la planification des espaces publics du projet Métamorphose depuis 2019
Projet métamorphose, espaces publics de l’étape 2 des Plaines-du-Loup
Maître d’ouvrage
Ville de Lausanne, Bureau de développement et projet Métamorphose
Procédure
Concours ouvert à deux degrés SIA 142
Projets
Promenons-nous dans les bois (1er rang, 1er prix) – Monnier architecture du paysage, Studio – Alberto Figuccio, b-plan engineering, Planisol, Perenzia ingénieurs, JMJ ingénieurs conseils
Couronne gourmande (2e rang, 2e prix) – Apaar, Radiance35, Büro für Mobilität, Viridis Environnement
Belles Saisons (3e rang, 3e prix) – La Comète-B612