De­lé­mont ma­rée basse

Les inondations de l’été 2007 ont fortement impacté la ville de Delémont (JU). Les travaux nécessités par ces événements ont permis de sécuriser le lit de la Sorne et ses rives, tout en leur reconférant une valeur écologique. Cet article présente les interventions réalisées dans la partie la plus urbaine du périmètre du projet Delémont marée basse, où la Sorne n’était plus qu’un étroit canal.

Date de publication
04-03-2025

Les 8 et 9 août 2007, des précipitations particulièrement intenses se sont abattues sur une grande partie du territoire suisse. Les niveaux des cours d’eau et des plans d’eau ont atteint des records dans de nombreuses régions. Cela a notamment été le cas à Delémont, où une inondation dévastatrice a causé pour plus de 10 mio CHF de francs de dégâts, sans toutefois faire de victimes. Le cours de la Sorne, corsetée et canalisée par des travaux de correction précédents, n’a pas été en mesure d’absorber un débit allant jusqu’à 90 m3/s. Ironie du sort, en mai 2007, Delémont était devenue la première commune du canton du Jura à disposer d’une carte des dangers de crues. Celle-ci laissait clairement apparaître la menace que constituait la Sorne sur le quartier de la gare.

Un processus participatif pour surmonter la catastrophe

Les travaux de correction entrepris à la fin des années 1970 étaient empreints de la vision qui prévalait à cette époque: maîtriser et évacuer l’eau aussi vite que possible tout en économisant de la place. Mais, au cœur de Delémont, la Sorne n’avait plus de rivière que le nom. Les événements de l’été 2007 ont mis en évidence la nécessité de repenser la protection contre les inondations du chef-lieu du canton du Jura et de ses 13 000 habitants. Un processus participatif de réflexion initié en 2009 par la Ville débouche sur le projet Delémont marée basse, dont les premiers travaux débutent en 2011. Au-delà des aspects sécuritaires, le processus était aussi une opportunité de redonner une valeur environnementale au cours d’eau et de tenir compte de l’utilisation actuelle et future du sol, tout en replaçant la Sorne au cœur de la vie économique et sociale de Delémont.

Pour les besoins du projet, la Sorne a été divisée en trois secteurs principaux: le secteur En Dozière, en amont de la ville ; le secteur Centre-ville ; et le secteur Morépont amont. Le présent article se concentre sur le secteur Centre-ville. L’objectif des mesures qui y ont été décidées était de revitaliser la Sorne en cœur de ville, d’augmenter la capacité de la rivière en s’efforçant, autant que possible et au vu des contraintes locales, d’apporter des améliorations environnementales. La majeure partie du tronçon, divisé en trois lots, étant située en zone construite, seul le lit pouvait ici être corrigé et amélioré de manière significative.

Les chantiers planifiés étaient soumis à de très fortes contraintes : début des travaux au 1er juin et fin au 31 octobre, soit hors de la période de reproduction des poissons ; limitation des atteintes à la rivière (turbidité) ; travaux en milieu urbain ; accès limité à la rivière ; conservation des routes et trottoirs ; maintien d’un gabarit suffisant en cas de crue.

Mise à sec de deux demi-chantiers

Le premier lot, appelé Centre Aval, est situé entre l’avenue de la Gare et la rue de l’Avenir. Les travaux s’y sont déroulés entre 2017 et 2023, avec une longue interruption de décembre 2019 à juin 2022, liée à l’étude du projet et à la mise en soumission des travaux du lot Centre amont. Les étapes 1 et 2 (2017) ont vu la construction sur rive droite d’un mur de soutènement, avec l’aménagement à son pied d’un cheminement pour la petite faune et l’abaissement du fond du lit. Sur rive gauche, un enrochement a permis de renforcer et stabiliser le pied du talus. La mise au sec des deux demi-chantiers (rives gauche et droite) a été réalisée au moyen de batardeaux (cellules remplies de sable mises les unes à côté des autres) posés directement sur la molasse, empêchant ainsi les refoulements par en dessous. Une nouvelle station de mesure pour l’OFEV a de plus été installée à la hauteur du pont «Manor». La logistique était en grande partie assurée au moyen d’une grue posée sur un portique afin de permettre le passage des véhicules sur le chemin de Bellevoie durant les travaux.

Reprise en sous-œuvre des murs de soutènement

Les étapes 3 à 6 (2018) ont consisté en la construction d’un mur de soutènement avec intégration des connexions pour un futur bâtiment en rive droite. Elles ont également porté sur la reprise en sous-œuvre des murs de soutènement de la rive gauche, selon la méthodologie suivante:

  • réalisation de consoles en béton armé (2.00 × 0.50 × 0.40 m) espacées de 6 m sous les murs existants;
  • au droit des consoles, réalisation d’un micropieu et d’un ancrage;
  • construction devant les murs existants d’une longrine en béton armé (0.80 × 0.70 m) intégrant les micropieux et les ancrages;
  • mise en tension des ancrages à 50 kN;
  • construction par étapes, sous la longrine, d’éléments de mur (longueur 3.0 m, hauteur jusqu’à 1.70 m, largeur variable en fonction de la tenue du terrain).

La longrine ainsi que les éléments de mur sont continus (présence d’armatures de liaison à chaque joint de travail).

Cette méthodologie a permis de maîtriser les déformations sur les murs existants et sur les ouvrages proches des rives (tassements max. 10 mm). Aucun dommage n’a été constaté à ce jour.

Libérer le lit de la rivière

Les étapes 7 et 8, réalisées en 2019 puis en 2022 et 2023, sont particulièrement spectaculaires. À l’aval du pont de l’avenue de la Gare, un bâtiment recouvre en partie la rivière. Il est supporté par neuf piliers en béton armé plantés au milieu du lit. Ces derniers sont une entrave majeure à l’écoulement de l’eau.

Pour enlever cet obstacle, une structure métallique a été placée sous la dalle du bâtiment. Cette structure repose sur 14 nouveaux piliers posés sur les sous-œuvres des murs existants sur chaque rive. Après transmission des charges sollicitant les porteurs en béton sur la structure métallique, les neuf colonnes encombrantes ont été sciées et enlevées.

Sur les deux rives, l’exécution des reprises en sous-œuvre des murs a été effectuée selon les mêmes modalités que celles présentées plus haut. Pour préserver la faune aquatique, les travaux ont été interrompus en décembre 2019 et repris en juillet 2022 (achèvement des étapes 7 et 8).

Préserver le pont de la Maltière

Les travaux du lot 3 Centre Amont – partie inférieure ont été exécutés en 2022 et 2023. Ils portaient là aussi sur la réalisation des reprises en sous-œuvre des murs sur les rives droite et gauche, par demi-rivière avec batardeaux et fouille à sec d’un côté. Le fond de la rivière consistait ici en un radier à double pan disposant d’une rigole centrale. Ce radier, reposant sur la molasse, a été détruit pour permettre l’approfondissement du lit et l’exécution des reprises en sous-œuvre. Dans la partie supérieure de ce tronçon se trouve le pont de la Maltière, le premier pont construit à Delémont durant le Moyen-Âge. Les appuis de la voûte du pont sur chaque rive ont été préservés et protégés par des blocs de pierre.

Les travaux réalisés sur le lot 3 Centre Amont – partie supérieure, eux aussi effectués en 2022 et 2023, ont consisté en un approfondissement du lit sans toucher ici aux fondations des murs de soutènement existants.

L’entier de la portion du lit englobant les lots 1 et 3 a été aménagé avec du gravier possédant une granulométrie adaptée (9-11 cm). Cette dernière peut résister à une crue jusqu’à un temps de retour de 10 ans. La présence d’un barrage en amont du secteur empêche une recharge naturelle. En cas de crue plus importante, la rivière creusera inévitablement son nouveau lit, emportant ce gravier vers l’aval. Les aménagements suivants complètent le dispositif :

  • mise en place de blocs de pierre isolés,
  • création d’une banquette végétalisée sur rive droite pour le déplacement de la petite faune,
  • réalisation d’épis et d’affouillements pour améliorer la morphologie du cours d’eau,
  • plantation de végétaux.

L’aménagement de ces structures organiques et minérales a pour but de diversifier les écoulements et le substrat du lit de la Sorne.

Objectif Q200

D’un point de vue hydraulique, les travaux entrepris avaient pour but de garantir la sécurité de la ville de Delémont confrontée à une crue avec un temps de retour de 200 ans, soit un débit de 135 m3/s (Q200). Avant les travaux, le niveau Q200 dépassait quasiment partout le sommet des berges. Les travaux ont permis d’abaisser la ligne d’eau de manière assez importante. Sur la partie amont du tronçon, la présence de ponts créant des obstacles importants a nécessité un approfondissement plus conséquent, de l’ordre de 1 à 1.5 m. Finalement, le profil réalisé n’est pas aussi lisse que le profil projeté; cela est dû notamment au phasage du chantier et aux découvertes faites au gré des travaux, comme des conduites dont les niveaux reportés sur plan n’étaient pas corrects.

Les travaux sur la portion centrale de Delémont marée basse ont permis aux bureaux d’ingénieurs impliqués de tirer des enseignements utiles pour de futurs projets similaires. Ils mettent en avant l’importance de connaître la façon dont les travaux antérieurs ont été réalisés, et donc l’importance de posséder un dossier de l’ouvrage exécuté complet et bien documenté. Jean-François Gnaegi, ingénieur civil et directeur de GVH-BP, souligne également qu’il a été difficile, voire impossible dans certains cas, de travailler dans le lit de la Sorne sans générer de la turbidité dans l’eau et que les autorisations de police des eaux doivent en tenir compte. «L’exécution des aménagements dans une rivière est observée par beaucoup de gens, particulièrement quand ils se déroulent en milieu urbain : une communication transparente est indispensable!», conclut-il.

 

Delémont marée basse (secteur centre-ville), Delémont (JU)

 

Maître de l’ouvrage : Ville de Delémont (Département de l’urbanisme, de l’environnement et des travaux publics)

 

Mandataires : BAMO - 2MO ingénieur conseil; DGT - Pepi Natale

 

Pour le lot 1 : Groupement GBE : GVH Delémont, Buchs et Plumey, Ecoeng

 

Pour le lot 3 : Groupement GE : GVH-BP Jura, Ecoeng, Biotec bureau associé

 

Entreprises : 

 

Lot 1 Centre Aval : Consortium G. Comte – Parietti et Gindrat


Lot 3 Centre Amont – partie inférieure : Consortium G. Comte – Marti Arc Jura


Lot 3 Centre Amont – partie supérieure : Association Gobat Génie Civil – Colas Suisse

 

Coûts TTC des travaux (génie civil et béton armé) : Lot 1 Centre Aval : CHF 4.8 mio (CHF 16 830/m’)


Lot 3 Centre Amont – partie inférieure : CHF 2.8 mio (CHF 13 115/m’)


Lot 3 Centre Amont – partie supérieure : CHF 887 000 (CHF 1890/m’)

 

Total : CHF 8.5 mio (CHF 8750/m’)

 

Durée des travaux :


Lot 1 Centre Aval :

Août – décembre 2017

Mai – octobre 2018

Juin – décembre 2019

 

Lot 3 Centre Amont – partie inférieure :

Juillet – décembre 2022

Février – août 2023

 

Lot 3 Centre Amont – partie supérieure :

Août – octobre 2022

Juin – juillet 2023

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