Une ex­pres­sion pour le trai­te­ment de l’eau

Pour la nouvelle centrale énergétique de la société d’approvisionnement zougoise WWZ à Unterfeld (ZG), Lütjens Padmanabhan propose une façade singulière combinant sous-construction métallique, plaques ondulées en fibres-ciment, bacs en polyester et végétation. Le projet habille habilement un ouvrage d’ingénieurs dans un site à l’importance paysagère considérable.

Date de publication
14-03-2025

Le réseau Circulago de WWZ se nourrit des températures du lac pour acheminer aux clients de la ville de Zoug ainsi que de la commune de Baar un approvisionnement en chauffage et refroidissement. Des échangeurs de chaleur répartis sur l’ensemble du secteur transforment les températures de l’eau du lac en celles requises par les réseaux locaux. Pour étoffer cette infrastructure, WWZ construit une nouvelle centrale sur une parcelle située à l’interface d’un secteur bâti s’étirant sur l’axe nord-sud entre Zoug et Baar, accueillant principalement des zones de logement et de bureaux. Au sud du site se trouvent des installations de loisirs telles que terrain de foot, patinoire et piste d’athlétisme, qui seront poursuivies en direction du site WWZ. À l’ouest, le plateau de la rivière Lorze, un paysage agricole et naturel structurant toute la région, s’étire entre Baar et le lac de Zoug. Il se caractérise par des champs et cultures ponctués de grandes fermes solitaires. 

Concilier ingénierie et architecture, maîtriser l’expression

La planification d’une infrastructure jouissant d’une telle exposition dans le paysage ne pouvait se résoudre seulement selon des critères techniques. Alors qu’un bureau d’études zougois avait déjà prévu l’implantation et l’agencement fonctionnel de la centrale, sa géométrie – une grille de construction de 5m par 5m, définissant un volume de 30m par 40m pour une hauteur d’environ 21m – nécessitait un concept d’intégration dans la structure paysagère et urbaine.

Pour ce qui pouvait encore être projeté, la façade et dans une moindre mesure les abords, les architectes devaient se grouper avec un architecte paysagiste. Les sept équipes présélectionnées devaient tenir compte d’un possible agrandissement ultérieur sur une travée au nord et deux au sud. La façade projetée devait donc être flexible et adaptable à long terme : remplacements, déplacements, extension, ouvertures supplémentaires, etc. Les faibles exigences thermiques, la gestion de la problématique incendie, l’économie de la construction avaient mené les planificateurs de l’infrastructure à privilégier des murs et planchers en béton armé. 

Les outils de l’architecture

La planification d’infrastructures de production d’énergie est réservée aux ingénieurs. Qu’en est-il des espaces qui les abritent ? Dans le cas d’Unterfeld, la conception de l’enveloppe était le moyen d’en définir l’expression et l’identité figurative. Pour ceci, les outils déployés par Lütjens Padmanabhan ArchitektInnen ont d’abord permis de formuler, au moment du concours, une symbolique liée au cycle de l’eau, à son usage : vers le ciel, où un évasement généré par l’inclinaison des plaques de fibres-ciment sur la partie haute de la façade traduit la réception de l’eau de pluie ; vers sa transformation, par la descente à travers les bacs végétalisés et leur substrat ; vers son évacuation dans les dalles à gazon, accompagnée par une jupe s’écartant du fond de façade ; puis vers sa dissémination le long d’un cours d’eau bordant la parcelle ; et finalement vers le lac. 

Concrètement, les plaques aux ondulations larges et au revêtement couvrant de couleur grise, sont disposées de façon similaire sur les quatre côtés de la façade. Elles ont une longueur de production standard de 2.5 m. Pour les auteurs du projet, l’usage du matériau fait écho au parement des architectures vernaculaires agricoles ou de montagnes. Originellement, il était utilisé à des fins de protection des ouvrages et structures en proie aux intempéries, avant que certains architectes s’approprient la banalité de ces produits industriels pour nourrir des questions de forme et d’expression. Les plaques sont fixées par des pièces en aluminium sur une sous-structure de profilés métalliques HEA formant deux triangles rectangles. Ces équerres sont orientées de manière à s’évaser de la façade au fond et au sommet de celle-ci ; elles supportent respectivement trois et deux hauteurs de plaques. 

La sous-construction est répétée selon une trame structurelle régulière, elle est fixée verticalement contre la façade en béton armé et flotte quelques centimètres au-dessus du sol. 

Dans les interstices et décalages entre panneaux, sur des supports d’acier inoxydable disposés horizontalement, sont placés les auges en polyester recevant le terreau et les plantes. En complément de l’eau de pluie, l’eau propre d’arrosage est acheminée par des tuyaux isolés depuis la partie supérieure de la centrale vers chacun des niveaux de bacs. De la face inférieure de ces derniers, s’écoule ponctuellement le surplus vers les étages inférieurs au travers de tubes en PVC. 

Un champ d’action profitable

Les architectes désiraient une végétation débordante. Le maître d’ouvrage voulait une façade propre et nécessitant peu d’entretien. Ainsi, le projet de végétalisation est circonspect. Il tient plus de l’embellissement d’un balcon de logement privatif que du jardin suspendu. Puissent les plantes, fleurs et herbes pousser avec exubérance, déborder sur les panneaux. Puissent les mousses se former, les coulures de l’eau marquer la façade. De là, sans pour autant salir la maison, une symbiose entre construction, eau et végétation naîtrait et ancrerait encore davantage l’architecture dans la plaine de la Lorze. À distance et dans son rapport à la plaine agricole, la nouvelle figure est déjà forte et souveraine. De façon presque antinomique, elle est aussi légère, suspendue au-dessus du sol. Les panneaux se laissent imaginer mobiles, dansant, comme s’ils pouvaient pivoter sur un mécanisme au gré des vents. En réalité fixes, c’est par le changement d’inclinaison entre le haut et le bas de la façade qu’ils génèrent cette dynamique. En s’approchant du volume, des angles particulièrement, le projet de façade expose ses éléments constitutifs, y compris le dispositif mécanique et technique de la sous-construction, et communique aussi par là sa relative fragilité. Cette approche par le dévoilement des matériaux, de leur caractéristiques et leur agencement rappellera les architectures suisses alémaniques des années 1980 et 1990, à l’exemple des entrepôts Ricola à Laufen de Herzog & de Meuron1, qui datent de 1987. À Unterfeld, la façade, plus qu’une peau, est un système très autonome strictement appliqué sur une construction conçue par les spécialistes techniques et pourrait être redémontée à tout moment. Le projet met ainsi en tension la nature intrinsèque de permanence des ouvrages bâtis avec la réversibilité de la fonction d’habillage. 

L’objet de ce concours, pourtant limitant le champ d’action habituel de l’architecte en le reléguant au rôle du styliste de l’habit, ou même de la parure, illustre la plus-value offerte par l’intégration de l’architecte projeteur (all. Entwerfer), là où le programme principal est organisé sans lui. Pour le domaine de l’architecture, des questions de fond sont soulevées concernant le rôle et le potentiel de la façade, tant au niveau de sa réalisation, de son usage, que de sa signification. Seul regret : même si le paysage de toiture signale le caractère technique de la production d’énergie, la traduction symbolique du cycle de l’eau par le projet de façade reste abstraite et architecturale. Le narratif ne coïncide pas réellement avec le dispositif technique qui achemine l’eau d’arrosage depuis la centrale, en plus de l’eau de pluie, et dont le flux est géré par des jauges disposées dans les bacs. La construction même de la centrale, ainsi que la donnée du concours, auraient-elles pu inviter à produire une plus grande transparence entre le contenant et le contenu? En présentant la mécanique et la technique de Circulago elles-mêmes, et non pas seulement une image de celles-ci, le système d’approvisionnement pourraient être appréhendé plus directement par le voisin ou le promeneur. Malgré ces limitations, le but formulé du concours est rempli : définir une identité, une forme, l’expression d’une installation technique dans un concept de développement du site. La flexibilité demandée et la valeur utilitaire sont résolues. Lütjens Padmanabhan ArchitektInnen conçoit ici une façade multidimensionnelle ayant un avant, un arrière, un dessus, un dessous, le tout sans intervenir dans l’épaisseur structurelle du bâtiment. La proposition ouvre la porte à la réflexion sur des façades qui offriraient un espace profond pour la cohabitation des éléments et des fonctions, un dispositif dans lequel passerait l’eau et l’air, vivraient différentes espèces, formulant un biotope nouveau et original.


Notes

1. Martin Steinmann, Les dessous de Madonna: ou le fait de présenter des matériaux qui ne sont pas destinés à cela, Matières, École Polytechnique fédérale de Lausanne, Institut d’architecture et de la ville, 1997

 

Nouvelle centrale énergétique de Unterfeld, Zoug (ZG)

 

Maître d’ouvrage : WWZ Energie AG

 

Architecture : Lütjens Padmanabhan

 

Procédure: concours, 2021
 


Réalisation:  2024

 

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