Fé­lix Can­dela: fonc­tion, forme et élé­gance des coques en bé­ton

Cet été, on lève les voiles

La Fondation Pavillon Sicli accueille une exposition sur l’œuvre exceptionnelle de Félix Candela. Son commissaire nous explique le développement des différentes structures qui ont fait la renommée de cet architecte espagnol exilé au Mexique.

Date de publication
21-08-2024

Félix Candela a marqué le domaine de l'architecture avec ses structures en béton armé que l’on appelle «coques» (cascarones), construites dans les années 1950 et 1960, en employant une technologie d'origine européenne qui a atteint un niveau de développement exceptionnel sur le sol mexicain. Avec son œuvre, Candela a ouvert de nouvelles voies dans la conception de ces structures, en exploitant avec virtuosité le paraboloïde hyperbolique, dont il a su tirer au maximum les avantages structurels, constructifs et expressifs.

Né à Madrid le 27 janvier 1910, Félix Candela a obtenu son diplôme à l'école d'architecture de sa ville en 1935 (ETSAM). Arrivé en exil au Mexique en 1939 après s’être engagé comme volontaire dans l'armée républicaine pendant la Guerre civile espagnole (1936-1939), il acquiert la nationalité mexicaine en 1941. Dix ans après son arrivée, il construit sa première coque expérimentale et fonde l'entreprise Cubiertas Ala au sein de laquelle il réalisera les œuvres qui lui donneront une renommée mondiale. Il est professeur à l'École nationale d'architecture de l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM) de 1953 à 1971, date à laquelle il s'installe aux États-Unis. Il décède à Raleigh, en Caroline du Nord, le 7 décembre 1997.

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Une œuvre exceptionnelle

Les œuvres emblématiques de Félix Candela résultent de la fusion de trois composantes: la géométrie (paraboloïde hyperbolique), le matériau (béton armé) et le processus constructif, adapté au contexte mexicain. Pour les concevoir, il exploite au maximum – et avec un grand savoir-faire – les caractéristiques structurelles et expressives du paraboloïde hyperbolique (hypar). Deux séries de lignes droites se déplaçant dans l'espace (les directrices et les génératrices) produisent des surfaces réglées à double courbure inverse qui ont la propriété de transmettre principalement des efforts en compression. Cela permet de construire des structures en coque résistantes de par leur forme, avec une épaisseur minimale. Sa première réalisation exploitant des hypars est le Pavillon des rayons cosmiques de la Cité universitaire de Mexico (1951).

Les toitures conçues avec des paraboloïdes hyperboliques peuvent être classées en deux grands groupes: les coques à bord droit et les coques à bord courbe. Pour développer ses projets, Candela part de trois prémisses: logique structurelle, efficacité et économie. Une fois la géométrie définie et le calcul structurel effectué, la clé du processus constructif des coques réside dans la complexe élaboration de sa forme, de manière à la réaliser avec de longues bandes rectilignes en bois, qui formeront la surface réglée à double courbure inverse1. Sur ce moule est ensuite placée une armature réticulaire formée de fines barres d’acier sur lequel on coule le béton. Une fois le mélange pris, le coffrage est démonté et la coque prend alors sa forme définitive.

La réalisation nécessite le concours d’habiles charpentiers pour réaliser le coffrage et d'une armée de maçons pour compléter l’œuvre: une pièce résistante par sa forme autoportante, sans éléments structurels altérant sa gracieuse silhouette, appuyée si subtilement sur le terrain qu’elle semble flotter en apesanteur.

Variété de coques

Architecte de formation, Félix Candela œuvre également en tant qu’ingénieur, concepteur de structures, consultant, ingénieur calcul et constructeur au travers de son entreprise Cubiertas Ala. En deux décennies, il développe environ 1500 projets, dont plus de la moitié est réalisée. Au fur et à mesure de la construction de nouvelles structures, Candela acquiert une maturité et une confiance qui le conduisent à expérimenter avec des coques toujours plus audacieuses. Parmi les types de coques les plus efficaces, on trouve les «parapluies» et les «voûtes d'arête».

Le «parapluie» est un élément économique et polyvalent, formé de quatre segments de paraboloïde hyperbolique qui se rejoignent en une colonne centrale, laquelle transmet les charges au sol et abrite la descente des eaux pluviales. La fondation est résolue avec des hypars inversés reposant directement sur le sol. Chaque «parapluie» peut couvrir plus de 200 m2 avec un seul appui. Sa construction, autonome et réalisée en étapes, emploie le même coffrage pour fabriquer les différents éléments, permettant de couvrir de grands espaces par la mise en série d’éléments autoportants.

Les possibilités de variantes sont vastes et Candela expérimente souvent en incorporant de petites modifications à ses «parapluies», qui sont généralement de forme carrée ou rectangulaire, avec un support centré ou décentré et une section variable de la colonne (carrée, rectangulaire, cylindrique). Pour fournir un éclairage naturel et ventiler l’espace intérieur, on peut séparer, surélever ou incliner leurs bords en dents de scie. De ces variations dérivent les coques dites  en éventail» avec leurs porte-à-faux audacieux. Celles-ci ont été utilisées pour réaliser des postes de surveillance ou des sculptures urbaines.

En raison de son efficacité et de sa rapidité de construction, le «parapluie» est le type de coque le plus demandé à Cubiertas Ala pour construire des bâtiments industriels et de services: usines, entrepôts, stations-service, marchés ou gares. Dans cette famille de projets citons ceux employés dans l'usine de mise en bouteille Bacardí (1964) ou les stations Candelaria et Merced du métro de Mexico (1969).

Membranes délicates

Certaines des œuvres les plus inspirées de Candela appartiennent à un autre groupe, celui des coques à bord courbe, en particulier la famille des «voûtes d’arête» réalisées avec des hypars. Cette solution ingénieuse naît de la relation professionnelle entre Candela et les architectes Enrique de la Mora et Fernando López Carmona. Elle s’inspire de la voûte d’arête traditionnelle inventée par les Romains. Formée de deux voûtes cylindriques intersectées perpendiculairement (sans nervures ni renforts), elle repose sur des appuis isolés aux quatre angles.

Le premier exemple de voûtes d’arête est employé pour construire la salle des ventes de la Bourse mexicaine des valeurs (1953). La couverture de sa base rectangulaire a été résolue par l'intersection de deux hypars de type «selle de cheval». Lorsque les ingénieurs calcul affirment qu’elle ne peut pas être construite, De la Mora fait appel à Candela, qui la considère comme une solution brillante. Cette œuvre sera suivie de diverses variations créées dans la région de Mexico, telles que l'église de San Antonio de las Huertas (1956), le cabaret La Jacaranda (1957), le restaurant Los Manantiales (1958), l’usine de mise en bouteille Bacardí (1958), le restaurant de l’hôtel Casino de la Selva (1959) et le poste de vente du lotissement Verde Valle (1963).

La voûte d’arête avec hypars constitue une contribution importante de l’architecture mexicaine à l’histoire de la construction. Avec la variante du «bord libre», Candela atteint l’un des plus grands succès esthétiques dans le domaine des structures en coque, comme en témoigne son chef-d’œuvre : le restaurant Los Manantiales de Xochimilco, une «fleur de béton» qui semble flotter dans les canaux de cette zone lacustre du sud de Mexico. Le bâtiment d’origine, construit en bois en 1938, a été détruit par un incendie en 1957. Le nouveau projet est confié au jeune architecte Joaquín Álvarez Ordóñez, qui charge Félix Candela de calculer et construire sa couverture. En 1958 est inaugurée la structure que Candela considère comme son œuvre la plus significative: «C'est peut-être la membrane de béton la plus délicate jamais construite», écrira en 1963 Colin Faber, auteur de la première monographie en anglais sur Candela2.

«À quatre centimètres de Dieu»

Félix Candela s'est également aventuré avec un succès tout particulier dans l’architecture religieuse. Il réalise plusieurs églises, qu’il considère comme «la meilleure opportunité qu’un architecte puisse avoir pour tenter de créer quelque chose de transcendant» (Faber, 1963). Dans l'église de la Vierge de la médaille miraculeuse (1953), il déploie sur une base basilicale traditionnelle à trois nefs une structure innovante combinant audacieusement des surfaces courbes qui génèrent un espace intérieur fascinant.

Avec Enrique de la Mora et Fernando López Carmona, il réalise la couverture de plusieurs temples très audacieux, comme El Altillo (1955), San José Obrero (1958) et San Vicente de Paul (1959), conçus respectivement avec un, deux et trois toits à bord droit. Quant au temple San Antonio de las Huertas(1956), il est recouvert de trois voûtes d’arête. C’est là qu’est réalisée la première « coque à bord libre » (sans renforts sur les arcs périmétriques). Candela solutionne également la couverture complexe de l’église Nuestra de Guadalupe à Madrid (1963), conçu par De la Mora. Ce projet marque son retour professionnel (mais non en personne) dans sa ville natale.

Ses dernières œuvres importantes à Mexico comprennent le Palais des Sports pour les Jeux Olympiques de 1968 ainsi que trois stations de métro, inaugurées en 1969: Candelaria, San Lázaro et Merced. Mais c’est surtout dans les réalisations religieuses que les coques de Candela sont les plus impressionnantes. Elles confèrent à l’espace sacré une sorte d’aura mystique particulière, par l’intensité émotionnelle qu’évoquent ses surfaces fluides. Candela conçoit le toit de plusieurs autres églises, parmi lesquelles la Chapelle de Palmira à Cuernavaca (1959), avec Guillermo Rossell et Manuel Larrosa, et celle de Santa Mónica (1963) avec López Carmona. En contemplant l’espace intérieur d’El Atillo, l’architecte américain Richard Neutra prononça une phrase qui est restée dans les mémoires: «Ici, quatre centimètres seulement nous séparent de Dieu!».

 

Juan Ignacio del Cueto Ruiz Funes est architecte, enseignant et chercheur à la faculté d’architecture de Mexico (UNAM). Spécialiste de l'histoire de l’architecture du 20e siècle et commissaire d’expositions, ses travaux concentrent sur l'œuvre des architectes espagnols exilés au Mexique, en particulier Félix Candela.

Lukas Ingold est architecte Dr. sc. ETH Zürich. Au cours d’un voyage de recherche en 2018, où il est également invité à un symposium organisé par Juan Ignacio del Cueto Ruiz-Funes, il photographie les œuvres de Félix Candela. Son intérêt se porte non seulement sur la construction mais aussi sur leur utilisation dans la vie quotidienne, 60 ans après leur réalisation.

Notes

 

1. Une surface réglée est une surface par chaque point de laquelle passe une droite, appelée génératrice, contenue dans la surface. Quand les deux courbures présentées sont inverses, la surface est naturellement stable. 

2. Colin Faber, Candela: The Shell Builder, New York, Reinhold Publishing, 1963

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Exposition – du 23.08 au 15.09.2024
Félix Candela:Fonction, forme et élégance des coques en béton
Fondation Pavillon Sicli
Genève

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