Le bruit et la ville

Dans cet éditorial, Marc Frochaux, rédacteur en chef de TRACÉS, décrit comment Copenhague est devenue une métropole paisible grâce à ses infrastructures cyclables, un modèle que Genève devrait suivre.

Date de publication
30-09-2024

La ville paisible? Non seulement c’est possible, mais ça existe! Un séjour prolongé à Copenhague m’a permis d’en faire mon quotidien. On ne parle pas ici d’une petite ville médiévale que l’on visite nonchalamment en léchant une glace, mais bien d’une métropole de deux millions d’âmes. Et plutôt bienheureuses, ces âmes : dans tout le pays je n’ai pratiquement pas entendu de moteurs tonitruants.

Dans une société qui a massivement adopté la marche et le cycle, les pétarades sont tellement rares qu’elles étonnent. À Copenhague, «tout le monde sinon personne ne fera du vélo» ont promis les urbanistes. En 2025, 50% des transports se feront en cycle. (À Berne, on s’enorgueillit d’en avoir atteint 20, deux fois plus qu’à Genève). Et cela n’a rien à voir avec une prétendue prédisposition biologique ou culturelle propre aux scandinaves. Ce n’est pas non plus lié à la situation géographique d’une ville entourée de zones villas et qui fait venir sa main d’œuvre de la périphérie, voire de l’étranger (à Malmö, de l’autre côté du détroit de l’Øresund). Non, d’après les informations que les autorités mettent volontiers à disposition des urbanistes et ingénieurs mobilité du monde entier – et qui se demandent comment ce miracle est possible –, cette réussite tient à trois facteurs décisifs: infrastructures, infrastructures et infrastructures.

À Copenhague, le réseau cyclable est entièrement séparé par des bordures et toutes les bandes ont été adaptées de manière à être simples, sûres et, surtout, interconnectées. Ces mesures créent un cercle vertueux qui inverse les rapports de force; ils confèrent un sentiment de sécurité et renforce «l’évidence» qu’il n’y qu’à enfourcher son vélo pour se rendre n’importe où en quelques coups de pédales. En conséquence, le ­trafic automobile s’en retrouve réduit: à Copenhague on a compris que chaque personne qui choisit le vélo rend service à celle qui n’a pas d’autres choix que la voiture.

L’investissement en vaut la chandelle si l’on considère les sommes inimaginables d’énergie qui ne sont pas employées à faire tourner des moteurs. Et plus encore quand on réalise à quel point une ville dense, animée, cosmopolite peut être plaisante à vivre au quotidien une fois débarrassée du danger et des nuisances sonores. Contrairement à certaines villes de Suisse romande obsédées par la «densité», on a vu ce qui occupe le plus d’espace et décidé d’investir pour résoudre un problème qui en cause tellement d’autres. À Copenhague, les petits commerces et les bistrots se multiplient sur les socles et les angles de tous les immeubles; on peut discuter sans crier et lâcher la main d’un enfant sans crainte. L’architecture aussi y gagne : elle n’a pas à se protéger par des murets ou des socles aveugles; séjours et balcons se tournent vers l’espace public; on vit fenêtres ouvertes en été, sans crainte de se faire tirer de sa sieste.

Alors on se souvient de ce que c’est une ville. On avait oublié, à force de vivre en permanence dans le bruit. Non, ce n’est pas «la ville» qui est bruyante, ce sont les moteurs. Rentrer par Genève après avoir visité Copenhague est un sacré coup dur. On se dit qu’avec sa richesse, la petite métropole lémanique aurait pu retrouver sa ville depuis bien longtemps si elle écoutait ses urbanistes. On se dit qu’elle n’a aucune excuse, puisque Copenhague y est arrivé.

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