Quelque chose se trame à Ge­nève

Cinq places genevoises réaménagées

Disséminées aux quatre coins de la ville, plusieurs places végétalisées ont fait leur apparition à Genève ces dernières années, reflétant les ambitions climatiques de la Municipalité. Ces poches de nature révèlent de nouveaux espaces publics inscrits dans une trame verte à l’échelle urbaine.

Date de publication
25-02-2025

Au détour d’un immeuble, d’un carrefour, d’une rue, chaque place se dévoile à sa manière. Mais c’est surtout la végétation, contrastant avec l’environnement bâti, qui attire le regard des passant·es.

Résultant d’initiatives du Service de l’aménagement, du génie civil et de la mobilité (AGCM) et du Service des espaces verts (SEVE), les places des Augustins, de la Synagogue, du Petit-Saconnex, du Pré-l’Évêque et la rue des Rois ont été réalisées entre 2020 et 2024 suite à des concours et des appels d’offres. Qu’il s’agisse du réaménagement d’une place existante ou de la transformation d’un espace de stationnement en place piétonne, ces différents projets offrent une seconde vie à des lieux laissés pour compte et ordinaires, en participant à la végétalisation de l’espace public et plus largement au maillage vert de la ville. Ils s’inscrivent dans la continuité d’une idée qui fait son apparition dans divers plans directeurs à partir des années 1930.

Lisez le portrait des cinq places ici – Cinq places genevoises réaménagées: Rue des Rois, Place des Augustins, Place de la Synagogue, Place du Petit-Saconnex, Place du Pré-L'Évêque

Les villes dans le parc plutôt que les parcs dans la ville

À cette époque, la place de la végétation dans la ville et la menace que représente l’expansion urbaine pour le paysage deviennent des enjeux d’urbanisme notables à Genève, notamment pour l’architecte Maurice Braillard, chef du Département des travaux publics de 1933 à 1936. Il entend considérer le territoire dans son ensemble, avec son patrimoine bâti, industriel, naturel, et envisage le plan directeur comme «un concept pour guider l’action urbanistique, sociale et politique»1.

Entre 1935 et 1937, aidé entre autres d’Albert Bodmer, ingénieur et directeur du Service d’urbanisme de 1932 à 1947, il conçoit trois plans directeurs qui explicitent l’idée d’une trame verte à l’échelle urbaine. Les zones bâties s’opposent aux surfaces libres de constructions et sont structurées notamment par un réseau vert de « surfaces publiques », qui permet de relier entre eux les différents quartiers et de parcourir tout le territoire par les espaces verts. Ce sont eux qui contiennent le bâti.

Mais c’est réellement le Plan des zones et liaisons de verdure de 1948, héritier des idées des plans directeurs précédents, qui met explicitement en lumière ce réseau vert reliant les parcs existants. La ville se retrouve dans le parc: «La création de ces zones peut s’envisager de deux manières: A. par des masses compactes de constructions s’alternant à distances régulièrement réparties avec des parcs ou réserves d’air. B. par des parcs avec lesquels se marieraient les constructions. Dans le premier cas, ce sont les parcs dans la ville, dans le second les villes dans le parc. Pour le profane, cette distinction peut paraître bien subtile. Pour le technicien, elle part d’une conception diamétralement opposée.»2

Le « Plan stratégique de végétalisation en ville » publié par le SEVE, et plus particulièrement le «Plan stratégique de végétalisation 2030 – objectifs et mise en œuvre» (PSV 2030) établi dans son sillage par le Département des constructions et de l’aménagement, datant tous deux de 2019, prolongent la conception du maillage vert de Braillard et visent à renforcer l’offre en espaces verts dans les quartiers, à la suite d’une analyse de la situation existante. Le déploiement de la nature dans l’espace urbain se concrétise rapidement, à travers des interventions dans des lieux précis, dont font partie toutes les places décrites ici. Elles répondent à des mesures de « végétalisation ponctuelle » (place du Pré-l’Évêque) et de «requalification de l’espace public» (rue des Rois, places des Augustins, du Petit-Saconnex et de la Synagogue), telles que présentées dans le PSV 2030.

La durabilité avant tout

Les matériaux utilisés (pavés posés sur sable pour la place du Petit-Saconnex, stabilisé pour les autres) donnent leur caractère au lieu tout en permettant une infiltration des eaux de pluie dans le terrain. La gestion de l’eau se matérialise d’ailleurs par des éléments construits : une cunette délimite l’espace principal de la place de la Synagogue et de la rue des Rois, en borde une partie au Petit-Saconnex. À la rue des Rois, les fosses de Stockholm sous les arbres, où viennent se déverser les eaux de pluie canalisées, offrent un terrain d’expérimentation innovant et valorisent l’eau, devenue précieuse après les épisodes de sécheresse successifs des dernières années. La teinte claire de ces revêtements, choisie principalement pour lutter contre les îlots de chaleur, tranche avec l’asphalte sombre des routes et trottoirs existants, et marque ainsi l’évolution de la politique climatique de la Ville.

Place à la nature

Ces places sont surtout l’occasion pour la Municipalité de se rapprocher de l’objectif, certes ambitieux, de 30 % de taux de canopée, avec 25 % atteints d’ici 20 303. Au total, rien que sur ces cinq places, 53 nouveaux arbres ont été plantés (5 platanes malades ayant été remplacés sur la place de la Synagogue). De plus, chaque place envisage le projet d’arborisation selon un contexte qui lui est propre: à la rue des Rois, c’est le cimetière qui se prolonge de l’autre côté de sa clôture; à la place de la Synagogue, on reste fidèle aux platanes de Braillard; à la place des Augustins et du Pré-l’Évêque, on complète les sujets existants; au Petit-Saconnex, le nouvel alignement d’arbres protège l’espace de la circulation et donne une direction à la place.

Le SEVE, s’appuyant sur la mesure de « végétalisation ponctuelle » du PSV 2030, intervient également sur des parcelles privées de la ville de Genève, où la pertinence de la végétalisation s’étudie au cas par cas. La présence de réseaux en sous-sol des trottoirs ne permet pas une arborisation systématique et dense. En revanche, c’est sous l’enrobé vieillissant des parkings que l’on (re)trouve la pleine terre. De quoi offrir des opportunités de végétalisation à petite échelle, mais plus fréquentes. Actuellement, c’est surtout dans le quartier des Pâquis que le service mène plusieurs projets de micro-places arborées qui viennent supplanter des places de stationnement.

Tous ces efforts participent plus généralement à la végétalisation de l’espace urbain, et donc à la fabrication du maillage vert. La végétation prend progressivement de la place et accompagne les Genevois·es au quotidien, comme l’avait imaginé Bodmer en 1933: «(…) si la promenade dans un parc fermé est réservée aux loisirs, le parcours d’un homme d’affaires venant de la cité à son habitation fait partie des faits et gestes de tous les jours. En créant des allées et des avenues, on met la jouissance d’un parc à la portée de tous.»4

Nouveau regard pour une nouvelle vie

Par ailleurs, ces projets permettent de découvrir ou redécouvrir des sites qui ont toujours fait partie du paysage urbain et collectif. Ce nouveau regard sur ces places permet à leurs usager·ères de se réapproprier ces lieux autrefois désertés et inexploités comme espace public.

Cette occupation des places est surtout rendue possible grâce à leurs nouvelles affectations. Elles passent en effet de zones de stationnement ou rues circulées à zones piétonnes ou zones de rencontre (avec une circulation limitée à 20 km/h). À plus grande échelle, la question de la piétonnisation des rues fait l’objet de plusieurs propositions et projets concrets en ville de Genève5, dont à la rue de Carouge6, à proximité de la place des Augustins. De quoi permettre aux Genevois·es de battre le pavé et flâner en ces lieux qui sont redevenus les leurs. À la place de la Synagogue particulièrement, la suppression de la plupart des bollards en pierre et la mise à niveau du sol au pied des façades ont permis de décloisonner l’espace et de retrouver une atmosphère de parvis, telle qu’imaginée initialement par Braillard.

Finalement, une chose est certaine: ces projets ont réussi à rendre ces places vivantes, au sens propre comme au figuré. Tombées pour la plupart dans l’indifférence, elles ont pu reprendre un second souffle et offrir des espaces de respiration aux habitant·es, qui probablement sans le savoir arpentent tous les jours la trame verte à l’échelle urbaine.

Portraits détaillés des places réaménagées: 

 

- Rue des rois

 

​- Place des Augustins

 

- Place de la Synagogue

 

- Place du Petit-Saconnex

 

- Place du Prés-L'Évêque

Notes

 

1. Elena Cogato Lanza, L’urbanisme en devenir. Réseaux et matériaux de l’aménagement urbain à Genève, dans les années trente, thèse de doctorat n° 1938, EPFL, Lausanne, 1999, p. 199

 

2. Maurice Braillard, Question d’urbanisme : les parcs, Le travail, 1932

 

3. Stratégie climat de la Ville de Genève, 2022

 

4. Albert Bodmer, Projet d’aménagement du quartier de Malagnou à Genève, Architecture Art Appliqué, mars 1933, pp. 36-38

 

5. Piétonnisons Genève ! Proposition de plan piéton de l’ATE, ATE Genève, février 2020

 

6. La future rue de Carouge, Service de l’aménagement, du génie-civil et de la mobilité, mars 2024

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