Sous les pa­vés, la pla­ge!

Pierre Frey a visité la très belle exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine: Tous à la plage! Villes balnéaires du 18e siècle à nos jours.

Data di pubblicazione
01-12-2016
Revision
03-12-2016

De tous les brillants slogans affichés sur les murs du Quartier latin à Paris en mai 1968, celui-ci fut probablement le plus précisément visionnaire. C’est en tout cas ce que suggèrent les ultimes développements de l’exposition TOUS à LA PLAGE, qui s’est ouverte le 19 octobre dernier à la Cité de l’architecture et qui se hisse au meilleur niveau des expositions d’architecture et d’urbanisme qu’on a pu voir ces dernières années. 
Structurée chronologiquement et thématiquement, l’exposition remplit en tout cas parfaitement l’ambition qu’a formulée pour elle Bernard Toulier, son commissaire général lorsqu’il, écrit: «L’exposition présente la singularité de l’architecture et de l’urbanisme des bords de mer en France, du 18e siècle au début du 21e siècle, en référence à de nombreux exemples à l’étranger». Subdivisé en trois parties, l’ouvrage-catalogue richement illustré et édité avec un soin tout académique, comprenant liste des œuvres présentées, bibliographie, index des lieux et des personnes, s’affirme comme une authentique référence, destinée à prendre non pas la poussière, mais la place sur les rayons aux côtés des plus importants témoignages des expositions scientifiques parisiennes.
Pour la commodité de notre propos, nous n’épouserons pas la structure thématique de la présentation, mais l’évoquerons en suivant l’axe chronologique. Les contributions de Corinne Biéler et Bernard Toulier cadrent les objectifs généraux de l’entreprise et situent le questionnement clairement dans le champ de l’urbanisme et même dans celui de l’invention, du renouvellement, de la restauration de l’espace urbain, principalement au 19e et 20e siècles. Il y a tout d’abord un urbanisme balnéaire de pionniers, qui s’emploie à établir ex nihilo des villes sur l’eau, organisant leur plan, leurs circulations et encadrant minutieusement la réalisation de la rente foncière pour le compte de grands investisseurs et l’usage du tourisme de la riche «classe des loisirs». L’architecture, les pratiques sociales et la scénographie littorale urbaine déploient très tôt leurs efficaces machines. C’est Arcachon, Biarritz, la côte normande et l’invention de celle dite « d’azur ». Il y a ensuite le changement d’échelle intervenu après 1936 avec les congés payés et le CIAM de 1937, consacré au thème « logis et loisir ». Celui-ci est fortement accentué après 1945 par l’émergence du tourisme de masse des Trente Glorieuses. L’exposition et le catalogue illustrent richement ces développements et les innovations morphologiques et stylistiques qu’ils impliquent. Enfin, sont abordées les utopies urbaines construites ou fantasmées, examinées sous le double mouvement des reconversions comme par exemple Barcelone ou Benidorm et de l’émergence de véritables laboratoires urbains «placés devant le double défi démographique et climatique» qui voit l’urbanisation désormais majoritaire, voire hégémonique, absorber en son sein les portions de littoral disponibles ou convoquer la plage au centre-ville, sous les pavés. Littéralement. L’entreprise est par ailleurs riche en incursions sociologiques ou anthropologiques qui étudient et illustrent les pratiques du bain de mer, d’abord thérapeutiques, circonspectes et réticentes, puis hédonistes, de masse, voire exhibitionnistes. 
Celles et ceux qui se souviennent du road movie de Costa Gavras, L’Eden à l’Ouest (2009), poursuivront peut-être les réflexions, – l’exposition, très lisible et confortable laisse l’esprit vagabonder –, ils se douteront que les migrants qui débarquent désormais par milliers sur nos plages n’ont pas pour nos rives les yeux d’Ulysse pour Ithaque et que les élégantes habillées pour le bord de mer par les «Grands magasins du Louvre» ne savaient pas, en 1895, que ce qu’il convenait alors de porter pourrait se nommer un jour burkini. A lire et à voir absolument!


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