Projet de paysage en trois actes
Le 3 décembre 2019, l’agence lyonnaise BASE a été désignée lauréate du mandat d’étude parallèle sur l’aménagement des espaces publics du Rhône pour réaliser le plan guide et les aménagements plus spécifiques qui résultent de la 3e correction du Rhône.
Il s’agit du « plus grand projet contre les crues de Suisse, voire d’Europe » a affirmé Jacques Melly1 en ouverture de la conférence de presse qui s’est tenue à Sion. Cette affirmation a été soutenue par Philippe Venetz2, en rappelant que ce concours est de loin le plus vaste que le Valais ait organisé «tant les enjeux et l’expérience sont importants».
Ce projet de paysage soumis au concours s’inscrit dans le projet de la 3e correction du Rhône et porte la volonté d’améliorer les aspects environnementaux et socio-économiques de la vallée. Si les chantiers de sécurisation vont bon train dans la vallée du Rhône, ce concours a permis de révéler la portée paysagère d’un aménagement pour les 160 km du linéaire du Rhône et de confirmer l’intention de rendre à la population le fleuve. La lettre du concours attendait des participants « de démontrer que, tout en respectant les contraintes techniques et légales ainsi que les surfaces dévolues à la nature et l’agriculture, les espaces publics de R3 peuvent être autant d’occasions d’offrir à la population des emplacements de qualité qui tiennent compte des différents usages et besoins des riverains»3, concrètement c’était «l’aménagement des espaces publics, cantonaux en sommet des digues du Rhône4» qui était concerné.
L’agence de paysage et d’urbanisme lyonnaise BASE a remporté le concours à l’issue d’une procédure dans laquelle quatre autres équipes de concepteurs étaient également engagées5. Lors de cette conférence de presse, Bertrand Vignal, l’un des fondateurs de l’agence, a présenté son projet Rhônature Parc pour ce paysage fluvial changeant. En trois actes, il énonce les principes d’une «mémoire du futur» pour la vallée du Rhône. Il emploie résolument un oxymore pour évoquer les imbrications d’échelles aux logiques contradictoires et des enjeux socio-économiques que le fleuve cristallise depuis sa première correction au 19e siècle. Un oxymore que le projet Rhônature Parc doit affronter et résoudre. En effet, Tony Arborino6 précise que, dans la vallée du Rhône, il y a eu deux guerres: une pour l’eau et une contre l’eau, si bien que cette dernière a entériné un éloignement affectif, mais non physique, des populations dans leurs rapports au fleuve. Une autre dimension s’est rajoutée à ce paysage et territoire fluvial, celle de considérer la transition écologique et climatique et d’assurer la pérennité de son occupation.
Le point de départ, ou l’acte 1 du projet Rhônature Parc, est de «tout mettre en récit». L’équipe organisée en trois pôles7 a travaillé en ce sens, chacun ses expertises, sur les 160 km du Rhône et ses 300 km de berges. Cette approche collective a reposé sur l’observation et la compréhension de l’épaisseur du territoire. Ses conclusions révèlent les imaginaires socio-culturels de l’identité valaisanne au bord du fleuve mais aussi la réalité des milieux naturels soumis au changement climatique. L’acte 1 formalise la volonté de conserver les structures économiques et infrastructurelles existantes pour concevoir une approche légitime et appropriable au moment opportun par les populations.
Le deuxième acte est structurel, il fonde l’armature du Rhône dans une étonnante transversalité pour connecter la vie au fleuve. Le plan guide identifie toutes les jonctions et pilote une mise en réseau de l’ensemble des intérêts que chaque communauté entretient avec le fleuve (espaces extractifs, terres agricoles, industries, zones urbaines et récréatives …). Plus particulièrement, chaque espace est traité en sous-séquences pour faire place aux typologies particulières. L’exemple du parc du Delta créé par BASE propose un parcours connectant les milieux anthropiques et naturels (les forêts alluviales, les terres agricoles, les villes, …). Cette cohérence dans l’emboîtement des échelles a été favorablement accueillie par le collège d’experts constituant le jury, qui a salué un «concept de qualité aussi bien dans le périmètre du Rhône que dans celui de ses affluents, car il propose une vision à l’échelle du bassin versant et non uniquement dans le linéaire du fleuve.»8
Enfin le troisième acte, programmatique, propose la création d’aménagements paysagers plus singuliers. Des allées œuvrant pour une nouvelle mobilité douce vers le Rhône, aux belvédères 360 degrés, en passant par des installations culturellement ancrées dans le territoire (guinguette, piste de ski de fond, …) et la réintégration artistique du patrimoine industriel, c’est la centralité des aménités du fleuve qui est ici en jeu. Ce dernier acte entérine les prédispositions spatiales du fleuve et sa capacité dynamique pour les activités socio-économiques.
Le jury a salué la capacité du projet Rhônature Parc à s’harmoniser de manière pertinente au projet de territoire déjà en œuvre avec les travaux de la 3e correction du Rhône. Il a été conquis également par les ambitions du projet en termes de qualité paysagère qui intègre une transition écologique pour le Rhône et ce, dans le respect des principes de sécurité, socio-environnementaux et économiques. Ce à quoi Bertrand Vignal a répondu en mettant en avant le caractère unique en Europe de ce projet à l’échelle de la vallée du Rhône et dont il est important de prendre la mesure, son échelle et sa logique.
Il s’agit désormais de concrétiser cet exercice et de faire prendre vie à ce projet. Si dans les prochains jours, un cahier des charges va être élaboré avec l’agence BASE, l’horizon des travaux d’aménagement dépend des enquêtes publiques prévues avant 2023 et de la mise en place du nouvel outil du plan directeur intercommunal pour activer «ce projet cousu main pour le territoire»9.
Notes
1. Chef du département de la mobilité, du territoire et de l’environnement (DMTE) du canton du Valais.
2. Architecte cantonal valaisan chef du service des bâtiments, monuments et archéologie (SBMA)
3. 4. Communiqué de presse, Canton du Valais, 3 décembre 2019
5. Les quatre équipes sélectionnées conjointement à l’agence BASE: le studio Vulkan, Urbaplan, Ilex et In situ ainsi que BIG.
6. chef de l’Office cantonale de la construction du Rhône (OCCR3), voir l’entretien avec Tony Arborino dans le Tracés 16-17/2019.
7. Le pôle Urbanisme, architecture géographie et cartographie avec les agences TOPOS, Actéon et l’expert-consultant E. Reynard de l’UNIL / Le pôle technique, génie écologique et environnemental avec les agences PRONA et CERA / Le pôle mobilité, design et signalétique avec l’agence RR&A et l’architecte Sara de Gouy.
8. Rapport du collège d’experts pour le MEP Aménagement des espaces publics du Rhône, Vaud-Valais, décembre 2019, p.36.
9. propos de Tony Arborino lors de la conférence de presse du 3 décembre 2019 à Sion
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