Quai Wilson à Genève, l’autre plage
Face à la plage des Eaux-Vives, la Ville de Genève ambitionne de transformer le quai Wilson en nouvel espace de baignade et de promenade. Les lauréats désignés à l’issue d’un concours ouvert ont imaginé des bains de pierre très sobres. Une autre plage.
Cette fois-ci, ADR n’a pas gagné. Le concours ouvert organisé par la Ville de Genève a fait son œuvre et le futur espace de baignade en rive droite du Léman sera réalisé par une jeune équipe inconnue et sans références en aménagement d’espaces lacustres – les deux associés du bureau Dellacherie Neyroud ouvert en septembre 2023 (pilote), accompagnés d’un architecte, d’une paysagiste et d’un ingénieur. Leur proposition Les marches de Théia, «sobre et subtile», s’est démarquée des 34 projets reçus et a su convaincre les membres du jury présidé par Bertrand Vignal de l’agence Base (Lyon) à l’issue de deux jours de délibérations.
«Accès à l’eau»
À partir des années 2000, les grandes villes ont entrepris la reconquête de leurs quais et de leurs berges, pour transformer des friches portuaires, industrielles ou des parkings en promenades plantées, prairies ou espaces de renaturation, accueillant mobilités douces et activités de loisirs. Depuis quelques années, et lorsque la qualité des eaux le permet, la baignade, ou au moins l’«accès à l’eau», sont devenus un sujet d’aménagement.
Après le succès de la plage réalisée par le Canton aux Eaux-Vives1, la Ville de Genève ambitionne de transformer le quai Wilson, depuis le port de plaisance Wilson jusqu’au parc Mon Repos, en nouvel espace de baignade et de promenade. Ce linéaire parfaitement rectiligne de plus de 600 mètres, bordé par trois voies de circulation (30 000 véhicules/jour), est aujourd’hui monotone et bruyant. En termes d’aménagement, une bande d’enrobé alterne avec une bande de pelouse et une piste cyclable plantée d’un alignement de platanes coincés en bordure de trottoir côté voirie. L’accès à l’eau est condamné par le muret qui marque la limite du quai. Peut mieux faire.
«L’accès à l’eau et à la fraîcheur est un impératif écologique qui répond à une forte attente populaire», rappelle Frédérique Perler, en charge du Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité. C’est aussi un axe de développement économique, complète Marie Barbey-Chappuis, en charge du Département de la sécurité et des sports : aménager les rives du lac contribue à la fois à renforcer la qualité de vie – donc l’attractivité de la ville et sa capacité à attirer de nouvelles entreprises et de nouveaux talents – et à consolider l’offre touristique.
Garder l’horizon ouvert
Lors d’un premier concours d’idées sur la rade en 2016-20172, le lauréat Pierre-Alain Dupraz avait déjà proposé un espace de baignade – emmarchements et plages de galets – le long du quai Wilson. Une image directrice avait suivi, 80 associations avaient été consultées et un consensus avait émergé autour du développement des accès au lac et des espaces de baignade. Ces premiers travaux, enrichis d’un gros dossier technique, ont alimenté le programme du concours qui appelait des propositions minimalistes n’empiétant pas trop sur le lac3, sans pour autant qu’une solution technique spécifique ne soit imposée.
Les 34 propositions rendues témoignent de la variété des projets possibles: plus ou moins avancés sur le lac, avec ou sans objets flottants ou ancrés au large, brisant la ligne du quai ou au contraire la soulignant, copié-collé ou parfait contrepied de la plage des Eaux-Vives. Ce foisonnement a conduit le jury à écarter certains partis-pris, notamment ceux qui «ferment» la rade par un dispositif construit. Charlotte Malignac, co-directrice du Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité et vice-présidente du jury justifie ce choix d’abord par la volonté de ne pas couper la vue sur le grand paysage; ensuite parce que ces infrastructures sont «invasives et, quelque part, exclusives» car accessibles uniquement à certaines personnes; enfin parce qu’elles sont très exposées aux intempéries.
La plage inversée
C’est un projet de la famille «peu invasif – très inclusif» qui a été récompensé. Parce qu’il préserve une ouverture généreuse sur le grand paysage du lac et parce qu’il résout l’accès à l’eau par de grands emmarchements en pierre et de larges bassins, naturels, immergés, Les marches de Théia a séduit le jury.
L’ombre (ou la lumière!) de la plage des Eaux-Vives planait sur ce concours, cette voisine exemplaire face à laquelle les équipes devaient – forcément – se positionner. Les lauréats ont joué le contraste en proposant stratégiquement une version inversée: quand la plage de la rive gauche regarde la ville et prolonge la « naturalité » des grands parcs de la Grange et des Eaux-Vives, le quai Wilson regarde le grand paysage, adossé au quartier des Pâquis et à la ville, justifiant un aménagement plus construit, dont les «marches» sont le grand geste. Ces marches en pierre de taille, adossées au muret, rentrent progressivement dans l’eau, pour créer des gradins et des «pataugeoires lacustres». Quatre zones sont définies le long de la promenade, légèrement décalées les unes par rapport aux autres, brisant la linéarité du quai. À chaque extrémité de ce projet en forme de L, on trouve un restaurant sur la jetée du port au sud, intégrant vestiaires et sanitaires, et une buvette au nord avec des commodités pour la baignade. Une roselière fait le lien entre la zone de baignade et le parc de Mon Repos.
Côté ville, la structure de la promenade est conservée et amplifiée pour diversifier les usages et mettre à distance les nuisances de la route. La promenade est découpée en séquences déterminées par les vues depuis le quartier des Pâquis: le grand parc, le jardin plage, les topiaires, le mail du port, le gardien du seuil – un grand cèdre du Liban qui marque l’entrée du site.
Le muret: le garder ou pas?
Comment régler son compte au muret qui constitue le seul élément patrimonial du quai autant qu’un obstacle à l’«accès à l’eau»? Les lauréats ont choisi de le préserver, tout en le sectionnant à intervalles réguliers pour l’ouvrir sur le lac. Il marque ainsi une limite entre l’espace de la promenade, dynamique, longitudinal, et l’espace de la baignade, plus statique.
D’autres ont opté pour des partis-pris plus radicaux, comme le 2e prix (Murmures, MSV). Ce projet simple et lisible, qui conserve l’absolue linéarité du quai sur ses presque 600 mètres, surélève le quai au niveau du point haut du muret pour mettre les promeneurs sur un plateau. Il «noie» ainsi le muret dans les remblais; seule la couvertine affleure pour marquer la limite avec les gradins qui donnent accès à l’eau. Un parti-pris plus minimaliste d’unification de la surface du quai, mais aussi plus aride dans sa représentation, moins séduisant que le 1er prix.
Pour finir, un mot de l’éléphant dans la pièce, le grand absent du programme: le quai lui-même (la voirie) a été exclu de la réflexion et restera donc pour encore quelques années à trois voies circulables plus une voie de stationnement. Occasion manquée de faire un vrai projet d’accès à l’eau, depuis la ville!
Rapport du jury et tous les détails sur notre plateforme dédiée aux concours
Notes
1 Sur ce projet, voir notamment TRACÉS 11/2019, le cahier Bâtisseurs suisses consacré au projet et le journal La plage
2 Pour les débats qu’avait suscité ce concours d’idées, voir notamment le dossier d'espazium sur la «Rade de Genève»
3 Les rives immergées sont en effet très contraintes par la station de pompage des SIG et un site palafittique.
Aménagement d’une promenade et d’accès à l’eau pour la baignade au quai Wilson (GE)
Maître d’ouvrage
Ville de Genève, Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité
Procédure
Concours d’aménagement d’espaces publics à un degré en procédure ouverte
Projets primés
- Les marches de Théia (1er rang, 1er prix), Dellacherie Neyroud architectes, Atlas conception (ingénierie), Marianne Herjean (paysage), Gaëtan Clochey (architecture)
- Murmures (2e rang, 2e prix), MSV architecture paysage urbanisme, Afry Suisse
- We will sun (3e rang, 3e prix), MPH architectes, Bois Initial, Chevalier, Ecosan, De Cérenville Géotechnique, Aquavision engineering
- Anse (4e rang, 4e prix), Atelier Descombes Rampini, ZS ingénieurs civils, edms, Les Éclairagistes associés, BMG Solution
- Une plage (5e rang, 5e prix), Pascal Heyraud, Ingegneri pedrazzini guidotti, beffa tognacca, Lumière Électrique / Les Ateliers du Colonel, Oikos
