Sobre et frugale
La pierre est la matière de l’architecture à la fois sobre et frugale.
J’ai toujours justifié mon recours à la pierre comme matériau de construction pour des raisons écologiques. C’est l’objet de la première partie: frugal.
L’expérience architecturale de la construction en pierre a bouleversé ma conception de l’architecture. C’est l’objet de la seconde partie: sobre.
Les définitions de sobre et frugal sont riches et complexes. Pour ma part je placerais ces deux définitions de la manière suivante. Je rattacherais le frugal à une dimension matérielle et la sobriété à une dimension spirituelle.
Frugal
La pierre frugale
Est frugal celui qui se nourrit de peu.
(J’ai déjà largement développé les qualités de frugalité de la pierre dans des textes précédents. Je me contenterais d’en rappeler les grandes lignes.)
Le Matériau
La pierre est le matériau issu du globe terrestre lui-même. Elle existe à l’état naturel. Elle n’a pas besoin d’être fabriquée. La dépense énergétique nécessaire à sa fabrication extraction et sciage est très faible.
J’ai souvent eu à débattre de la « raréfaction » de la ressource lithique. On confond ressources de pierres singulières avec la ressource générale. Deux exemples : le marbre de carrare est une ressource limitée dans sa qualité particulière. Mais la quantité de marbre mondiale est quasiment illimitée. Je connais des gisements de marbre au Sénégal. Ils ne sont pas exploités parce que peu de constructeurs utilisent ce marbre qui ne fait pas partie de l’histoire de la construction sénégalaise. Et sans réseaux de transports sa diffusion est difficile. Deux qualités que possèdent le marbre de Carrare. Plus l’excellente communication qui l’accompagne.
Pour reprendre l’exemple du Sénégal personne ne sait qu’il y a d’excellentes pierres de construction dans ce pays. Alors que le développement de la construction en béton est vertigineux. Or s’il y a du béton il y a fabrication de ciment. Le Sénégal possède plusieurs cimenteries qui alimentent tout l’ouest de l’Afrique. Pour fabriquer le ciment il faut de la pierre. Mais on préfère la réduire en poudre, la cuire à très haute température, broyer ces scories pour en refaire de la poudre, le ciment. Au mépris d’une ressource largement disponible ; on construit des millions de logement à la durée de vie (très) limitée, polluants et inconfortables. Les architectes, obnubilés par la modernité, détruisent leur propre pays. Mais nous reviendrons sur cette question dans la seconde partie.
J’ai souvent utilisé la pierre issue des carrières du sud de la France. Ces carrières exploitent une pierre semi dure, qui a fait ses preuves pour sa durabilité comme en témoigne le Pont du Gard célèbre aqueduc romain âgé de 20 siècles. Elle présente l’avantage d’un équarrissage aisé et précis à l’aide de scies de grandes tailles. Il est possible de tailler des éléments de grandes dimensions. Ces éléments d’un poids de l’ordre de deux tonnes sont facilement érigés par des engins contemporains de levage comme des grues mobiles.
J’ai privilégié dans le contexte européen l’usage de ces blocs de grandes importances. Ils m’ont permis de développer une méthode de construction concurrentielle avec les modèles constructifs dominants. Mais la ressource pierre peut se présenter sous différentes formes. C’est à chaque architecte ou constructeur d’adapter la construction à la ressource. L’architecture vernaculaires est riche d’exemples d’architecture variées et magnifiques. Aujourd’hui je construis dans un contexte africain où la main d’œuvre est abondante et peu de moyens de levage la solution de petites pierres maçonnées est plus judicieuse.
La construction
Le temps de montage est rapide sur la base d’un calepinage indispensable. Nous avons, sur nos premiers projets réalisés nous-même ces études de calepinage. Désormais les carrières entrainées à ce type d’exercice sont qualifiées pour le faire. Nous reviendrons sur ce point car la maitrise par l’architecte de ce travail est source de sobriété architecturale
L’ouvrage monté rapidement dépense peu d’énergie à ce stade. Le montage à sec autorise une mise en charge immédiate de la structure et permet un enchaînement rapide des ouvrages.
La qualité de surfaces des pierres ainsi que leur résistance aux intempéries permettent d’envisager des constructions sans aucune finition supplémentaire. Pas d’enduit ni de peinture. L’ouvrage peut rester franc de construction. La qualité d’aspect de la pierre suffit à la beauté de l’édifice. Sans besoin de produits chimiques pour protéger la pierre l’édifice reste sain.
Il convient d’évoquer ici une question qui est rarement abordée. C’est celle de l’énergie que nécessite l’érection de l’édifice. L’arsenal des grues et engins de chantier utilisé pour la construction représente une quantité non négligeable d’énergie fossile. Leur logique répond à la nécessité de diminuer de manière drastique la main d’œuvre dans une logique d’économie. Pour aboutir au paradoxe que plus on diminue le nombre de compagnons nécessaires à la construction et plus le prix de l’heure payée augmente. On justifie leur élimination en multipliant le recours à des systèmes mécanisés fonctionnant à l’énergie fossile. En d’autres temps Ivan Illitch avait démontré la limite que ces systèmes atteignent en devenant contre-productifs. (par ex la vitesse moyenne d’une automobile).1
J’aime citer l’exemple de ce bâtiment qui est aujourd’hui construit sans utiliser d’autres énergie que celle de l’énergie animale. Et qui inclut l’énergie humaine bien entendu. Il s’agit de la construction du château de Guédelon dans la région de Bourgogne en France. Il démontre que nous pourrions construire des bâtiments sans dépense énergétique fossile. J’en fais personnellement l’expérience aujourd’hui en Afrique où nous pouvons édifier des ouvrages sans engin de levage. Ce qui exige beaucoup de main d’œuvre. Cette situation permet de créer un emploi digne en place d’un injuste chômage.
La maintenance
Depuis longtemps nous privilégions l’inertie thermique à l’isolation. Dans l’espace méditerranéen et des pays situés au sud la variation thermique est grande. La pierre se charge la nuit de la fraicheur qu’elle restitue le jour pour tempérer les lieux d’habitations ou de travail. Ainsi l’inertie procure un confort sans dépense énergétique. Ou en la diminuant fortement. Ainsi le confort thermique d’été est acquis avec peu d’énergie. Des démonstrations convaincantes ont été menées dans le cadre de recherches universitaires.2
L’utilisation d’un chauffage de masse par des poêles de ce type ou par l’intégration des éléments chauffants dans l’édifice comme les murs ou les planchers permettent de diminuer l’énergie utilisée pour le confort d’hiver. Il convient de noter que cette économie n’est possible que si le chauffage est permanent. Les dispositifs de chauffage actuels utilisent souvent des concepts opposés. On privilégie un chauffage couplé à l’occupation pour un bâtiment conçu comme une bouteille thermos sans inertie thermique.
La recherche de l’étanchéité parfaite des bâtiments entraine à l’utilisation de menuiseries de plus en plus sophistiquées. Le coût de fabrication de ces menuiseries est important. La manipulation quotidienne est difficile voire impossible. Elle nécessite l’utilisation de système complexe de ventilation dont la maintenance est difficile. Et qui dépense pour leur fonctionnement une quantité d’énergie qui vient diminuer les résultats prometteurs attendus.
Pierre paradoxale
La construction en pierre massive s’engage dans une direction différente. Elle privilégie l’économe d’énergie à sa construction utilisant une matière largement disponible et illimitée. Elle privilégie des murs épais produisant un fort décalage thermique. Aucune isolation thermique n’est préconisée car elle empêcherait cette inertie. Il est nécessaire pour combattre l’effet de paroi froide de couvrir partiellement les murs de bois en lambris comme dans les maisons traditionnelles. Judicieusement disposé il procure confort thermique en hiver sans nuire au confort d’été.
Des études récentes ont démontrées que des bâtiments construits en pierre massive, sans isolant ni double vitrage, présentent des performances qui, rapportées à un demi-siècle d’usage, sont nettement plus convaincantes que celles de nos « intelligentes » constructions actuelles.3 L’étude conclut que l’utilisation d’un matériau frugal comme la pierre avec peu d’énergie fossile dépensée à la construction rend les bâtiments performants en bilan carbone s’il est rapporté sur le long terme.
Sobre
Qui n'a pas recours aux surcharges, aux ornements inutiles.
Syn. classique, dépouillé, simple, austère Larousse dictionnaire
Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. Roland Barthes.
Au cœur de mon propos est la question de la modernité
Pour mon premier projet en pierres massives je me suis imposé une discipline. Je recherchais une grande économie de construction. Pour ce faire j’ai privilégié l’utilisation d ‘un format de module de construction. Ce module est optimisé à partir du module brut d’extraction. Ses dimensions résultent d’une optimisation entre plusieurs critères: peu de retaille du bloc initial , une épaisseur performante en terme de résistance en diminuant l’emprise au sol, une inertie permettant un excellent déphasage thermique et un poids limitant les couts de transport et adapté aux engins de levage actuels. Avec l’adoption de ce module je m’imposais une règle supplémentaire : celle de n’utiliser le bloc qu’en position horizontale ou en position verticale. J’ai conçu ainsi un bloc aux proportions: a,2a,4a où a est l’épaisseur du mur.
Je devais comprendre que cette démarche relevait exactement des principes que l’Oulipo s’impose. Les membres de l’Ouvroir de Littérature Potentiel ont comme postulat que la contrainte est libératrice. La poésie aux formes imposées comme le sonnet, les alexandrins ou les haïkus japonais laisse libre cours à l’inspiration poétique. Ainsi en s’imposant des formes préconçues l’architecte peut libérer son inspiration. C’est la logique constructive de la pierre qui devait me donner ces règles me libérant de la nécessité d’inventer une nouvelle forme. Cet absolu de libération allait bouleverser mon approche architecturale.
Depuis toujours et passionné d’architecture vernaculaire d’où l’architecte semble absent, j’ai passionnément chercher à éliminer cette tare de l’architecture moderne: l’obsession de l’invention, de la créativité, de la nouveauté formelle comme moteur de l’architecture. Au point de finir écœuré par l’imagination débridée de nos talentueux créateurs.
J’ai découvert avec la rigueur que m’impose mon modèle constructif que je n’avais plus besoin d’imaginer la forme : elle m’était donnée d’emblée. Ainsi libéré de cette invention tyrannique j’ai redécouvert ce que j’estime être les fondamentaux de l’architecture : la matière, les rythmes, les proportions et la lumière. L’inventivité obligatoire à laquelle sont soumis les créateurs leur masque ces paramètres essentiels. Ainsi la gabegie formelle d’aujourd’hui les oublie, sauf en de rares exceptions. Et nous assistons à la pollution généralisée de notre environnement. Nos entrées de ville sont monstrueuses et nos villes historiques pour ne pas subir les mêmes dommages ont besoin d’être protégées. Au risque d’en mourir…. Il m’arrive souvent de fermer les yeux pour ne plus subir cette agression visuelle permanente.
L’invention formelle est une nécessité du monde productiviste. Une chaise ou une fourchette, objet utile s’il en est, répondent parfaitement à leur besoin depuis des siècles. Quelle nécessité d’en inventer une quotidiennement ? Des designers s’escriment chaque jour à en imaginer une nouvelle. Il faut rendre la précédente obsolète. Afin par le jeu des publications et du matraquage publicitaire de relancer la consommation pour un « nouveau » produit. Et d’avant-garde s’il vous plait ! En ajoutant la dérive de l’obsolescence programmée pour forcer cette consommation.
Ainsi l’inventivité est nécessaire dans un monde où une fonction vitale essentielle, habiter, entre dans la sphère de la consommation où elle ne devrait pas être. L’habitation n’est plus le lieu de l’habiter. C’est un « produit »** qu’il faut mettre à la mode pour le vendre. Et nos architectes de se démener pour imaginer la nouvelle forme qui mettra toutes les autres à bas. Comme l’essentiel est de vendre afin de faire rendre un maximum de plus-value au capital investi peu importe qu’au final l’objet ressemble à l’image de vente. Ainsi on assiste à une débauche de production d’images virtuelles que nul ne retrouve dans la construction finale.
C’est la modernité qui a le mieux incarné la disparition de l’architecture d’usage et la disparition programmée des constructions traditionnelles. Le chantre de la modernité, Le Corbusier l’a parfaitement démontré dans le plan Voisin de Paris, ode odieux à la destruction. Dont aujourd’hui on mesure toutes les conséquences dans la surexploitation de nos ressources qui conduiront à notre disparition. J’ai toujours fait mienne cette maxime de Roland Barthes: Soudain il m’est devenu indiffèrent de ne pas être moderne.
Contraint librement par le système constructif je retrouve par mon travail cette vertu des architectures vernaculaires libérées du corset formel: simples, sobres et frugales.
C’est cette sobriété frugale qui nous permettra de diminuer drastiquement les émissions de CO2 et l’empoisonnement du monde auquel nous assistons.
Notes
1 De nombreux calculs viennent contester ces fameux 6 km/h de vitesse moyenne d’une automobile. Vitesse qui serait environ de 16km/h en ville et 23km/h en campagne. Ces calculs contestataires oublient le véritable objet de la démonstration d’Illich qui concluait : « avec mon automobile (qui ne roule pas bien vite…) je détruis mon environnement ce qui n’est pas le cas lorsque je marche à pied».
2 Stefano Zerbi, Construction en pierre massive en Suisse, Tesi EPFL 4999, 2011.
3 Dimitra Ioannidou, On sustainability aspects through the prism of stone as a material for construction, Tesi ETHZ, 2016.
4 C’est ce mot qu’utilisent les promoteurs immobiliers pour définir un logement…
Images et plans ici.