SIA: Po­li­ti­que éner­gé­ti­que : « Les op­ti­mi­sa­tions de l’ex­ploi­ta­tion sont amor­ties au bout de deux ans »

Le Conseil des Etats est appelé à se prononcer sur la stratégie énergétique 2050 au cours de l’actuelle session des Chambres fédérales. La SIA a interrogé les experts Achim Geissler, Robert Uetz et Adrian Altenburger sur la faisabilité des objectifs liés à la politique énergétique suisse et sur les défis à venir.

Data di pubblicazione
08-04-2015
Revision
05-11-2015

Parlons d’abord du certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB) : les voix critiques déplorent que son établissement entraîne a priori des coûts pour les propriétaires, alors qu’il ne permet pas encore l’économie d’un seul kilowatt. Pourquoi la SIA considère-t-elle tout de même le CECB comme important ?
Altenburger : Quand j’envisage une randonnée, je consulte une carte avant de me mettre en route. Il en va exactement de même pour l’assainissement d’un bâtiment : si l’on ignore où on se trouve et où on veut aller, on court le risque de manquer son but ou de l’atteindre au prix de détours inutiles. Le CECB sensibilise la collectivité aux enjeux de la consommation énergétique. La même chose s’est produite avec l’introduction des étiquettes énergétiques accolées aux frigidaires : alors qu’au début, personne ne s’intéressait à leur consommation, on ne trouve plus aujourd’hui d’appareils affichant un label « B ». La branche a évolué et les fabricants ne peuvent actuellement plus se permettre de mettre des gouffres à énergie sur le marché. A l’avenir, lorsqu’un acheteur potentiel examinera une maison, il devrait donc également s’intéresser à sa consommation énergétique.
Geissler : Le CECB permet à l’expert d’envisager des variantes et d’informer le maître de l’ouvrage des choix qui se présentent pour réduire la consommation de son immeuble.

Pour la SIA, l’intégration de l’optimisation de l’exploitation et du CECB dans le modèle de prescriptions énergétiques des cantons (MoPEC) constitue un succès -d’estime. Mais comment s’y prendre maintenant pour rallier les sceptiques ? 
Altenburger : Il nous importait de franchir d’abord ce premier obstacle, soit l’intégration dans le MoPEC 2014. Sans mettre de pression au niveau politique, notamment de la part de la SIA, l’optimisation de l’exploitation et le CECB n’auraient probablement pas été retenus dans le MoPEC. Il s’agit maintenant de convaincre les cantons jusqu’ici réticents des atouts dudit modèle, en montrant par exemple que le retour sur investissement est en principe de moins de deux ans pour l’optimisation de l’exploitation et que pour l’énergie de chauffage, une réduction de 20 à 30 % de la consommation est souvent réalisable à partir de l’existant. 
Seulement voilà, la branche des études pour la construction et le secteur du bâtiment continuent à se voir uniquement comme des constructeurs, tandis que la réflexion sur l’exploitation et la modification des besoins dans les bâtiments demeure lacunaire, y compris au niveau du marché qu’elle représente. Or cela devrait changer et la branche des services (facility management) est ici particulièrement concernée.

Que signifie l’optimisation de l’exploitation ?
Uetz : Une optimisation de l’exploitation se concentre sur les modifications du fonctionnement des installations existantes, sans chercher à remplacer les systèmes en place. Les réglages s’attachent aux besoins effectifs pour un usage plus efficace de l’énergie injectée. Une optimisation permet des économies moyennes de 20 à 30 % sur l’énergie de chauffage et de 5 à 15 % sur la consommation électrique.

L’optimisation de l’exploitation est-elle surtout indiquée pour les bâtiments d’un certain âge ? 
Uetz : De manière générale, on peut dire que plus le bâtiment est ancien, plus la quantité totale d’énergie pouvant être économisée est importante – dans l’ancien, cela se traduit donc surtout par une baisse des coûts puisque la consommation totale est supérieure à celle d’une construction neuve. Mais le neuf est également concerné dans la mesure où, après une année d’exploitation déjà, une première optimisation peut se justifier. Cela vient souvent d’un échange d’informations lacunaire entre concepteurs et exploitants, notamment lorsque le responsable des études n’en sait pas assez sur l’usage futur du bâtiment. Et l’optimisation de l’exploitation devient indispensable à la suite de changements d’affectation, de travaux d’isolation ou lorsque les installations du bâtiment sont remplacées, car un « nouveau réglage » des systèmes techniques s’impose alors.
Une vérification régulière – au sens d’un contrôle énergétique – tous les deux ans assure en outre que les réglages effectués lors de la dernière optimisation n’ont pas été à nouveau modifiés dans l’intervalle ou perdus pour d’autres raisons.

Actuellement, le MoPEC fixe à 200 000 kWh par an la limite inférieure de consommation à partir de laquelle une optimisation de l’exploitation devient obligatoire : ce seuil n’est il pas trop élevé ?
Altenburger : De mon point de vue, cette limite est appropriée. On verra au bout de dix ans s’il y a lieu de l’abaisser. Et l’on aura déjà beaucoup obtenu si l’optimisation obligatoire de l’exploitation amène tous les propriétaires et exploitants d’immeubles à réaliser que l’intervention est aussi justifiée sur le plan économique.
Uetz : Une limite à 100 000 kWh par an aurait sa raison d’être au sens prospectif. Quand on voit la modestie des moyens nécessaires à de considérables gains énergétiques, on comprend que l’économicité et les effets de l’optimisation de l’exploitation sont très élevés. Pour les bâtiments dotés d’une importante infrastructure technique et relativement gros consommateurs d’énergie, l’optimisation de l’exploitation est une nécessité absolue ! Elle est d’ailleurs un élément central pour la mise en œuvre de la stratégie énergétique 2050. En s’appuyant sur 200 équipes de six personnes procédant à des optimisations à l’échelle du pays entier, un délai de dix ans suffirait à économiser l’équivalent de toute la production nucléaire suisse. Autrement dit, les optimisations d’exploitation permettent à elles seules de renoncer aux centrales nucléaires. Mais nous manquons de personnes ayant la formation adéquate et sommes nous aussi en recherche de solutions à ce déficit. 

Les programmes d’encouragement en place ne sont-ils pas trop fortement axés sur l’isolation de l’enveloppe des bâtiments ? Suffiront-ils à atteindre les buts fixés dans notre politique énergétique ? 
Altenburger : Il est démontré qu’un franc investi dans les installations du bâtiment réduit souvent plus efficacement les besoins nets en énergie ou les émissions de CO2 que son équivalent appliqué à des mesures touchant l’enveloppe des bâtiments. Ce constat semble petit à petit faire son chemin.
Une orientation politique essentielle devra être prise pour qu’à partir de 2020, les modèles incitatifs cèdent toujours davantage le pas à des pratiques réglementaires, donc qu’on réduise les actuelles rétributions incitatives pour augmenter la charge financière pesant sur les rejets de CO2 par exemple. Un maître de l’ouvrage verra alors de lui-même qu’il a intérêt à remplacer sa citerne à mazout, plutôt que de concentrer ses investissements sur l’enveloppe du bâtiment. Et au lieu de considérer des immeubles isolés, il s’agira surtout d’élargir la réflexion aux synergies énergétiques exploitables à l’échelle de lotissements et de quartiers dans leur ensemble, car c’est ainsi que nous obtiendrons des changements quantitativement significatifs. 

L’amélioration des systèmes techniques et le développement des moyens de régulation permettent-ils d’envisager le déclin de l’isolation thermique traditionnelle des bâtiments ?
Geissler : A elles seules, l’optimisation de l’exploitation et des installations techniques novatrices ne suffiront pas à remplacer une isolation de l’enveloppe extérieure, mais l’augmentation du niveau d’isolation redistribue nettement les équilibres. C’est pourquoi un renforcement des exigences applicables aux façades et toitures n’est plus guère à l’ordre du jour. Cela dit, pour le parc existant, certaines mesures d’isolation demeurent sans conteste concurrentielles si, par franc investi l’on compare leur effet à des interventions sur les installations techniques. On citera en l’occurrence l’isolation du plancher dans des combles librement accessibles ou celle du plafond de la cave. Et j’aimerais également revenir sur la recherche de synergies évoquée pour des ensembles d’immeubles : le but de la politique énergétique est que les bâtiments couvrent eux-mêmes leurs besoins en apports thermiques répartis sur l’année. A côté des gains énergétiques obtenus via l’enveloppe, il sera toujours avantageux que chaque bâtiment d’un groupe reçoive l’isolation techniquement et économiquement la mieux adaptée, afin que l’autoapprovisionnement puisse être atteint pour tout l’ensemble.

Il est donc permis d’espérer que nombre de façades à valeur historique puissent à l’avenir se passer d’isolation ? 
Altenburger : Pour le parc existant, les questions d’esthétique et de compatibilité des interventions architecturales envisagées sont évidemment primordiales. Elles doivent être posées et les mandataires responsables doivent y apporter des réponses convaincantes. Mais les bâtiments dont l’enveloppe extérieure est digne de protection ne constituent que 5 à 7 % de la substance bâtie en Suisse.
Pour nombre d’immeubles des années 1960 et 1970, il s’agira par contre d’évaluer s’ils doivent être préservés ou pas. Les enjeux du remplacement à neuf, soit de la démolition totale pour laisser place à de nouvelles constructions énergétiquement conformes, seront abordés lors de la journée que la SIA consacrera à cette problématique le 24 septembre prochain à Berne (voir : www.sia.ch/energie).

 

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Adrian Altenburger, vice-président et expert en énergie de la SIA, directeur de Amstein+Walthert AG Frauenfeld Prof. Dr Achim Geissler, Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse à Muttenz, professeur pour la construction durable et énergétiquement efficiente, la simulation thermique des bâtiments et la physique appliquée à la construction Robert Uetz, partenaire de Amstein+Walthert AG Zurich, responsable du département de conseil en énergie pour l’industrie et les gros consommateurs.

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